Culture

Casablanca : chienne de vie à Souk Drissia

© D.R

Etrange est l’histoire de ce jardin sans verdure. Situé au croisement des boulevards Mohammed VI et Abou Chouaïb Doukkali, il est à la fois mitoyen du marché de gros du charbon de bois et proche de Souk El Koréa et de Marjane.
C’est dire les appétits qu’il ne cesse d’aiguiser depuis ce jour fatidique où il a été décidé d’envoyer les bulldozers contre le seul espace arboré de Drissia qui s’étend sur plus de 4 hectares. L’objectif ? Permettre à un hangar de quelque 10.000 mètres-carrés de prendre sa place et à des envies de consommations de se substituer aux rêves des jeunes amoureux des alentours. Lesquels n’avaient d’yeux que pour leurs dulcinées et vivaient de l’air et du temps tout en jaugeant leurs ambitions à l’aune de la décrépitude de Dar Lhaj Ali ou à celle de la majesté de la mosquée qui porte le même nom. Premier repère urbanistique de ces lieux où les « souanis » le disputaient jadis aux cultures vivrières, cette maison fut un petit palais entouré de champs. Avec son toit qui ressemble à ceux des immeubles Bessonneaux et La vigie marocaine, elle respirait l’abondance. Aujourd’hui, enchâssée dans une suite de bâtisses à la laideur effarante, elle subit, stoïquement, les outrages du temps et des hommes. Une partie de ses murs de clôture vient même de s’écrouler sous les coups de buttoir des maçons de l’immeuble qui se construit juste à côté. Sans que personne n’y prenne garde ou ne s’en offusque outre mesure. Exactement comme le jour où cet ancien wali de Casablanca avait décidé de désherber le jardin de Drissia et de le priver d’une partie de son assiette foncière. N’a échappé à son ire vengeresse qu’une vingtaine de palmiers, une clôture en fer forgé et un portail. Depuis lors, nul retraité ne vient y « tuer le temps » comme autrefois. Occupé un mois ou deux par une foire commerciale, il se transforme tous les samedis et dimanches en souk pour la vente des chiens, des pigeons, des canaris, des chardonnerets et des perruches.
Comme tous les souks, c’est un endroit où l’on rencontre toutes sortes de gens. Il y a ceux qui y viennent pour écouler leurs marchandises ou pour en acheter, il y a les intermédiaires, les camelots, les bonimenteurs, etc.  Autant de personnages hauts en couleur qui, par leur faconde, se font le relais de toutes les informations nécessaires à la bonne conclusion des ventes. Ils vous abordent tantôt dans l’intimité, tantôt dans la harangue, avec une verve argumentaire et un bagout tels que vous ne pouvez que les croire. Mohamed Laoudi, professeur universitaire à Casablanca, les a qualifiés de « petits entrepreneurs de la pauvreté ».
Donnant consistance au système d’économie parallèle que d’aucuns qualifient de «parasitaire», ils lui permettent d’exister et, donc, d’absorber les flux de main-d’œuvre excédentaire ; tout en atténuant les effets de la paupérisation.
Le phénomène s’est d’ailleurs tellement imprimé dans l’urbanisme, dans les pratiques socio-économiques, dans les mentalités et dans les comportements qu’il devient difficile de concevoir qu’il puisse disparaître à court terme.
Dans l’attente, force est de constater qu’à moins d’être un fin connaisseur du monde des chiens et des volatiles, il est fort difficile de faire des affaires à souk Drissia. D’aucuns appellent méchamment cet endroit Souk Eddebbane (Le souk des mouches), tellement il est bondé. Il faut donc savoir faire du coude tout en ayant suffisamment de flair pour ne pas choisir de mauvais intermédiaires.
En m’expliquant cela, Mohamed me fit savoir que les prix pratiqués sont certes aléatoires, mais qu’ils ne sont que rarement déterminés par le jeu de l’offre et de la demande. « C’est à la tête du client. Pour un chiot, il faut compter entre 100 DH et 700 DH en moyenne ». Quant aux tarifs fixés par les oiseleurs, il ne pipera mot se contentant de dire qu’il ne s’y connaît pas. Preuve d’honnêteté ? Qu’importe, l’essentiel c’est qu’avec ses lunettes d’intellectuel paumé, Mohamed semble suffisamment respecté par les vendeurs pour inspirer confiance. Ceci d’autant plus qu’il parle un français assez châtié pour trahir son niveau d’études. De plus, il connaît bien les caractéristiques des principales races de chiens qui sont exposés à la vente. En particulier, les Bergers allemands et les Pitbulls. Comment reconnaître les uns des autres ? C’était la question à ne pas poser. A preuve, la longue digression qui s’en est suivie. «Il suffit de regarder un Berger allemand dans les yeux pour comprendre l’affection qu’il peut ressentir à l’endroit de son maître. C’est un chien qui est fidèle et dévoué, mais qui sait se battre.  Il a un joli museau. Ses oreilles sont droites, sa robe est noire, gris métallique, gris cendré, unicolore ou avec des marques régulières de marron, jaune ou gris-blanc et il mesure près de 60 centimètres, … ». Ouf ! Cela se voit que Mohamed aime cette race de chiens.
A moins, bien entendu, qu’il n’en ait un à me vendre ou qu’il compte me refiler le « clebs » de l’un de ses copains. Faux, puisqu’il me dit qu’il n’a pas vu de Bergers, bon teint, bon genre, depuis le matin. Reste le Pitbull. Là, ses explications furent plus brèves, moins poétiques et plus techniques. « La tête du Pitt Bull est d’une longueur moyenne. Son crâne est trapu et large au niveau  des oreilles. Ses yeux sont ronds et d’une couleur uniforme. Ses oreilles sont droites sur la tête, coupées ou entières. Sa mâchoire est proéminente et assez sévère. Son cou est musclé. Son thorax est profond, mais pas trop ample. Son dos est court et fort et sa queue est courte ». Y’en a-t-il un au souk qui ait un bon pedigree ? Négatif. Alors que vend-on dans ce souk ? « Tout ce que vous voulez, excepté des chiens de race », me répondit-il, en riant de bon cœur.

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