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Ce qui m’inspire c’est l’être humain dans toute sa complexité

© D.R

Entretien avec Mohamed Thara, artiste pluridisciplinaire

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L’art contemporain au Maroc a évolué lentement après l’indépendance, mais ce qui est bien, ces vingt dernières années, c’est que les artistes marocains ne sont plus renfermés comme avant, les choses ont commencé à bouger.
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ALM : Vous êtes actuellement en pleine résidence photographique au centre d’art pour l’innovation culturelle «Takafes», parlez-nous de ce projet…

Mohamed Thara : Oui, il s’agit de quatre jeunes auteurs photographes invités à travailler sur le territoire, de porter un nouveau regard sur la médina de Fès, et de déployer en toute liberté leur langage photographique. En effet, Amine Bouyarmane, Omar Chennafi, Hamza Ben Rachad et moi-même essayons de fixer l’éphémère, de nourrir des réflexions sur la création photographique contemporaine à travers des propositions, pour une période d’un mois, du 15 juillet au 15 août. Un projet de résidence collaboratif, participatif et expérimental qui a pour ambition de permettre l’approfondissement d’un axe de recherche et de questionner la pratique photographique.

Comment est née l’idée de ce projet? Et qu’est-ce qui vous a séduit dans cette résidence ?

L’idée est née de ma rencontre avec Mohammed Hamdouni, le directeur artistique de Takafes, via les réseaux sociaux. De tous les échanges que j’ai eus avec lui entre la France et le Maroc, il est clairement ressorti que nous devons travailler ensemble. En naviguant par hasard sur le Net, j’ai découvert ce nouveau centre d’art. Comme je suis né à Fès, j’étais intrigué par cette découverte. Je me suis informé sur les activités du centre qui développe sur le territoire local une politique d’expositions temporaires et de résidences de création pour les jeunes artistes émergents issus de tous les domaines d’expression. Un lieu qui est à l’écoute des mouvements de la scène artistique actuelle. Par la suite, emballé par l’idée de travailler ensemble, Mohammed Hamdouni m’a proposé de participer à ce projet de résidence.

Quels sont les points de convergence et de divergence entre vous et les trois artistes participant à cette exposition?

Entre nous, tous les points de vue convergent vers la volonté d’élaborer une réflexion et un travail de qualité. Notre «finalité est sans fin», pour reprendre une expression chère à Kant sur le jugement esthétique. Chacun exprime librement ses choix artistiques. En effet, durant cette résidence, le singulier pluriel est une façon pour nous d’éviter de tomber dans les pièges d’une organisation communautaire qui impose des concessions, et crée des divergences entre nous. L’art et les concessions ne font pas bon ménage. En latin, singulier ne se dit qu’au pluriel ; singulus n’existe pas, c’est singuli qui signifie «un par un». Une manière pour nous d’exprimer les interactions qui se jouent en commun, une forme de communion entre nous les quatre. Cela rejoint notre geste photographique, chacun comble les trous de la mémoire à sa manière. L’important est d’être ensemble avec distance, une «altérité sans identité» pour reprendre les termes de Jean-Luc Nancy.

Vous êtes artiste pluridisciplinaire : photographe, peintre, vidéaste, performeur et chercheur universitaire, comment arrivez-vous à être sur tous les fronts ?

On m’a souvent posé cette question (rires). Pour ma part, je suis ce qu’on pourrait appeler un touche-à-tout. Je crois que ça vient de ma curiosité et de mon goût pour l’expérimentation. En ce sens, mon parcours universitaire reflète cela. Après une formation initiale de peinture classique au Maroc, j’ai débarqué à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Bordeaux au début des années 2000, où j’ai obtenu un DNSEP (Diplôme national supérieur d’expression plastique, ndlr) option arts et médias.
À l’époque tout m’attirait énormément, j’avais envie d’expérimenter tous les médiums. J’étais inscrit à tous les ateliers de l’école, en touchant à des domaines aussi variés que la vidéo, la peinture, le dessin, la sculpture, les médias, etc., mais en restant dans une seule et même ligne directrice. Par la suite, j’ai obtenu un master en esthétique et arts plastiques à l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux, où j’ai découvert la rigueur et le goût de la recherche.
Par la suite, j’ai étudié la photographie à l’Ecole de l’Institut national de l’audiovisuel de Paris (Ina Sup), et la photographie de cinéma à l’École de cinéma professionnelle Arscipro de Paris. Actuellement, je suis en train de finir ma thèse de doctorat. Je suis chercheur en théorie de l’art, associé à l’École Doctorale Montaigne Humanités, et le laboratoire de recherche Artes-Clare de l’Université de Bordeaux. Mon parcours est assez labyrinthique, je reviens à votre question, à savoir comment j’arrive à être sur tous les fronts. Je pense qu’on peut jouer la même partition de musique avec un seul ou plusieurs instruments, c’est un atout non négligeable.

Quelles sont vos sources d’inspiration et quels sont les thèmes qui vous interpellent le plus ?

Ce qui m’inspire c’est l’être humain dans toute sa complexité, et sa connexion avec le monde qui l’entoure qui a connu une évolution considérable. Dans mes performances, je questionne le «vivre-ensemble» et je confère à l’image la fonction d’analyser le monde dans lequel nous vivons. À travers mes vidéos entre tension et équilibre, j’interroge l’imminence de la mort pour comprendre la fragilité de la vie. Mon travail photographique contient une forme d’écriture rituelle, une pensée pertinemment décochée au monde, un projet global et critique de la société contemporaine par l’image en mouvement qui soulève de nombreuses questions : l’histoire, la mémoire, le mal, l’identité, la douleur, le chaos…

En tant que chercheur en théorie de l’art, quel regard portez-vous sur l’art contemporain au Maroc ?

L’art contemporain au Maroc a évolué lentement après l’indépendance, mais ce qui est bien, ces vingt dernières années, c’est que les artistes marocains ne sont plus renfermés comme avant, les choses ont commencé à bouger. Les nouvelles technologies ont envahi le pays. Aujourd’hui, un artiste, même s’il ne voyage pas, sait ce qui se passe ailleurs à travers Internet et les réseaux sociaux.
L’effervescence artistique actuelle au Maroc est à l’image de ce qui se joue dans la création artistique mondiale.  Il y a aussi les artistes marocains comme moi qui vivent et travaillent à l’étranger, leur apport à l’avancée de l’art contemporain au Maroc est considérable. Il faut signaler aussi que la scène artistique au Maroc ne se compose pas uniquement d’artistes, ce qui manque au Maroc ce sont les structures adéquates, des galeries, des Musées, des écoles, et des centres d’arts de qualité.
Par exemple, le musée national d’art contemporain qui vient d’être inauguré par Sa Majesté le Roi est une très bonne initiative qui va dans ce sens.

Quels sont vos projets à l’avenir ?

Pour mes projets personnels, je suis invité pour la 4ème édition de la Biennale Organo «corps et arts visuels» de Bordeaux, qui se déroule en mai 2017, puis j’expose des installations dans la métropole lilloise en France, à La Manufacture, le Musée de la mémoire et de la création textile de Roubaix en février 2017, en collaboration avec la filière master muséographie-expographie de l’Université d’Artois. Je prépare en même temps ma première exposition personnelle à Casablanca, je n’ai pas encore de date, mais sûrement avant la fin de 2017. Il y a d’autres projets en attente de confirmation.

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