Culture

Dans les fermes de Huelva : La dure saison de la cueillette des fraises

© D.R

Vendredi 4 avril. Il est midi au port de Tanger. Une centaine de femmes font la queue devant un petit bureau de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC). Achoura, 40 ans, mère de trois enfants, attend son tour pour donner son passeport à l’agent chargé du recrutement à l’international de l’ANAPEC. «Je vais partir en Espagne pour cueillir des fraises. J’ai laissé mon époux et mes enfants dans le village. Je vais m’absenter pendant deux mois et ramasser une petite fortune pour aider ma petite famille», raconte-t-elle, toute excitée du fait qu’elle quitte pour la première fois son village et son pays. Originaire d’El-Hajeb, cette jeune femme a ramené dans ses bagages du sucre, du thé, des lentilles et des haricots «pour subvenir à mes besoins durant les premiers jours de mon arrivée en Espagne».
À 13h, le bateau navette Tanger-Tarifa se met en marche. Direction l’Espagne au bout de 35 minutes. Au mal du pays s’ajoute le mal de mer. «Je suis contente de pouvoir travailler dans les champs espagnols, mais en même temps j’ai peur de l’inconnu», confie Saïda qui contemple de loin la ville de Tanger et tous ces jeunes désœuvrés voulant, coûte que coûte, arriver à l’autre rive de la Méditerranée. «Mon mari bricole par-ci par-là. Il n’a pas d’emploi stable. C’est moi qui travaillais pour gagner de quoi nourrir mon fils de 14 ans. L’Espagne est une occasion pour moi pour améliorer ma situation», ajoute cette jeune femme de Khénifra.
Comme Achoura et Saïda, Khadija est aussi une femme qui a des enfants à charge. C’est la condition sine qua non pour pouvoir déposer sa demande à l’ANAPEC.
«Pour le travail saisonnier, nous avions déjà sélectionné des femmes et des hommes. Une fois en Espagne, la majorité s’évapore dans la nature. Nous avons donc revu les critères de sélection et ça a donné un taux de retour de 95 % pour l’année dernière !», explique Hafid Kamal, directeur général de l’ANAPEC.
Au port de Tarifa, les emp-loyeurs espagnols accueillent les ouvrières. Trois bus les attendent. Direction Cartaya dans la région de Huelva pour rejoindre leurs compatriotes.
En pleine forêt, dans des algecos de 14 m2, se tassent six femmes. Pour chaque groupe de 12 femmes, un algeco a été réservé par l’employeur pour servir de cuisine équipée en un réfrigidaire et de deux cuisinières. Pour avoir de l’eau, il faut se déplacer vers un autre algeco qui sert de toilettes. Le tout est implanté dans une éclaircie en pleine forêt sur la frontière avec le Portugal. A proximité des algecos, des constructions en dur, réservées pour les Roumaines. «Nous souffrons quant il fait chaud et quant il fait froid. Et on ne peut pas sortir la nuit toute seule pour aller aux toilettes, vous savez on est en pleine forêt et il y a aussi des hommes qui travaillent dans les champs et qui habitent ici ! Les Roumaines sont venues avant nous et ce sont elles qui bénéficient des meilleures conditions de logement», relate Fatna, originaire d’un petit village dans la région d’Oujda. C’est la deuxième fois que cette mère de six enfants travaille dans cette ferme. Elle dit reconnaître, au premier coup d’œil, celle qui vient pour travailler  et celle qui saisit l’occasion comme tremplin pour «d’autres activités plus lucratives». A 32 euros par jour pour la cueillette des fraises, certaines choisissent d’arrondir leurs fins de mois en se prostituant. «L’intéressant pour l’Espagnol est que le travail soit fait correctement dans les champs. A part  les horaires du travail, nous sommes libres de sortir et vaquer à d’autres activités», affirme une autre ouvrière saisonnière. Le jeudi 3 avril, une rencontre sur place a été organisée par l’employeur sur les maladies sexuellement transmissibles et les divers moyens de contraception avec un médecin marocain. A peine 21 ans, Soumia est divorcée et  mère d’une fille de quatre ans. «J’ai laissé ma fille chez ma mère à Agadir. Ma petite famille compte sur moi pour survivre. Je fais de mon mieux pour gagner plus avec dignité», dit-elle les larmes aux yeux. Ces ouvrières saisonnières sont tellement focalisées sur l’objectif de leur mission qu’elles ferment les yeux sur les conditions difficiles dans lesquelles elles vivent. Pas d’effort d’intégration ni autres initiatives d’améliorer leurs conditions de vie quotidienne. Des serres de Huelva au petit village au Maroc, elles doivent ramener le maximum d’euros. Toujours à Cartaya, mais cette fois-ci dans une ferme d’orangers. Ici, chaque groupe de huit ouvrières habite dans de petites maisons de deux pièces avec une salle de bains et une cuisinette. Côté habitat, les Marocaines ne parlent pas de traitement de faveur pour les Roumaines. Dans cette immense ferme, les Marocaines «jalousent» les Roumaines parce qu’elles vivent en famille. «Elles vivent avec leurs époux et enfants. Elles ne sont pas comme nous loin de leur famille !», lance avec une voix amère cette mère de trois enfants.
La saison de la fraise ne fait que commencer. Ces ouvrières doivent encore prendre leur mal en patience.

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