Culture

Dar El Hadith prépare sa rentrée

© D.R

Autrefois directement rattachée au Palais Royal et ce, depuis sa fondation en 1964, Dar el Hadith El Hassaniya est désormais placée sous l’autorité du ministre des Habous et des Affaires islamiques. Depuis le 24 août 2005, elle  est, en effet, régie par le Dahir N°1.05.159 qui la définit essentiellement comme une école dont la mission est de «former des cadres et des ouléma éclairés, maîtrisant parfaitement les véritables et nobles desseins de la charia islamique, capables de s’ouvrir, en synergie, sur les différentes sources de la connaissance humaine et aptes à engager un dialogue académique civilisé et responsable avec leurs pairs, adeptes d’autres cultes et confessions et à défendre les valeurs de tolérance, d’amour et de fraternité humaine que prône l’Islam ».
En attendant la rentrée, les étudiants de ce haut lieu de la science islamique finissent de passer leurs examens. Des examens tardifs, explique l’administration de l’école. Une situation exceptionnelle due à l’entrée en application de la réforme de la « Maison », comme l’appellent, dans un mélange de familiarité et de déférence, ses administrateurs, ses professeurs et ses étudiants.
Aziz Abouchraa, Bac+5 en philosophie, passionné d’herméneutique, l’art de l’interprétation des textes philosophiques ou religieux, arbore le sourire confiant de ceux pour qui l’examen n’est qu’une formalité. Il relève de l’ancien système de Dar El Hadith, celui d’une école accessible aux titulaires d’une licence.
Soumaya Benkirane, bachelière en lettres modernes et qui espère bien passer en deuxième année, a l’air tout aussi confiante. Elle incarne, quant à elle, la nouvelle orientation de Dar El Hadith, désormais ouverte aux bacheliers. Soumaya aurait pu, si elle l’avait voulu, entrer à l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC) ou à l’Institut des sciences de l’information (ISI) dont elle avait réussi les concours. Elle avait également la possibilité, grâce à deux bourses spécifiques, d’aller étudier les Sciences de l’éducation au Koweït ou le journalisme en Syrie. Mais c’est Dar el Hadith qu’elle a préférée. Elle y incarne aujourd’hui, seule fille parmi les huit garçons admis en premier cycle de la première promotion, une jeunesse désireuse de promouvoir une image vraie de l’Islam qui a toujours été, souligne Soumaya «une religion d’ouverture et de progrès». Mais il y a surtout, pour Soumaya et ses camarades, ce souci de contribuer «efficacement à l’encadrement de la population». On relève d’ailleurs, chez la plupart d’entre eux, la conviction d’être porteurs d’un message, le sentiment d’être investis d’une mission.
Devant l’entrée de la salle de prière de l’école, un groupe d’étudiants échangent commentaires et plaisanteries. Parmi eux, Camara Al Houcine Yaâcoub, Sierra-Léonais de 37 ans, licencié en Chariaa islamique à Fès, a fait le choix de Dar el Hadith El Hassaniya pour dit-il, «approfondir sa formations en sciences islamiques tout en se perfectionnant en langues». L’apprentissage des langues, le français, l’anglais mais aussi l’hébreu et le grec, caractérisent, en effet, la nouvelle orientation pédagogique de l’école et son esprit d’ouverture au monde.
Ahmed Khamlichi, directeur de Dar el Hadith, nous présente le régime des études et de la formation, organisé en deux cycles : formation initiale spécialisée et formation supérieure approfondie.
Le premier cycle, qui s’effectue en quatre ans, a pour objet de donner à l’étudiant une formation spécialisée en sciences de la religion. L’objectif est de lui permettre d’acquérir les connaissances nécessaires pour en comprendre les fondements, en assimiler les préceptes et connaître les doctrines et la jurisprudence comparée ; il vise également à donner à l’étudiant une formation solide en histoire comparée des religions et des régimes politiques, économiques, sociaux, juridiques et administratifs modernes.
Le second cycle, d’une durée de six ans, est voué à la spécialisation en sciences islamiques et à l’acquisition de méthodes performantes de recherche scientifique, d’argumentation et de communication.
L’accès à chaque cycle s’effectue par voie de sélection et après réussite à un concours.
Aux côtés du directeur, un conseil intérieur, une commission scientifique et des unités de recherche constituent les principaux organes de fonctionnement de Dar el Hadith El Hassaniya.
Abdelhadi Khamlichi, qui enseigne les sciences coranique et de la sounna, entame sa sixième année de professorat à l’institut. Titulaire de la Aalimiyya, le diplôme de doctorat délivré par l’université Qarawiyyine, il a consacré sa thèse au thème de « La paix dans le Coran et la Sounna, ses piliers et ses moyens de protection ».
Mais c’est surtout de pédagogie dont il se soucie aujourd’hui, dans la mesure où il entend bien contribuer à la réussite de ce projet pilote dans le monde arabo-islamique : «La dynamique novatrice de refonte des structures du champ religieux voulue par le Souverain passe en effet par la mise à niveau de ses institutions, de sorte que celles-ci puissent optimiser leurs performances». M. Khamlichi est intarissable sur la qualité de l’enseignement dispensé dans l’école où il a choisi d’enseigner, après un parcours pour le moins atypique. Il insiste tout particulièrement sur l’enseignement des langues étrangères, l’interprétation logique des textes sacrés, l’histoire des religions et la connaissance des autres rites islamiques, dans la mesure où selon lui, l’ouverture doit se faire touts azimuts…
L’ouverture à la façon de Dar el Hadith, c’est aussi la présence dans son corps professoral d’une femme, Farida Zmarrou. Spécialisée en science coranique, Mme Zmarrou, plus connue sous le nom de Farida Zomoroud, le pseudonyme sous lequel elle publie es travaux de recherche, fait depuis cinq ans partie de la Maison. Après sa thèse de doctorat consacrée à «La notion d’interprétation dans le Coran et les Hadith », elle est reçue première au concours de titularisation. Elle est surtout, rappelez-vous, la première femme docteur en sciences islamiques à avoir présenté une conférence lors des traditionnelles « Causeries hassaniennes» du mois de Ramadan.
Il ne reste plus pour Dar el Hadith El Hassaniya qu’à disposer enfin des textes d’application de son Dahir de refondation pour atteindre très vite sa vitesse de croisière. Avec en perspective, au titre des moyens que son nouveau ministre de tutelle, Ahmed Tawfiq, entend mettre à sa disposition, de nouveaux locaux en cours de construction dans le quartier de Hay Riyad.


DAR EL HADITH EL HASSANIYA :
Un peu d’histoire


Nous sommes en 1964. Feu SM le Roi Hassan II crée par Dahir « Dar el Hadith el Hassaniya » (Maison hassanienne du hadith). Objectif : former, à l’instar de la Qarawiyyine, la plus ancienne université islamique du Maroc, des ouléma, autrement dit des docteurs de la loi islamique, qui seraient à même de prendre part à la construction d’un Maroc musulman moderne. En effet, à cette époque, un courant d’inspiration salafiste, prônant le retour aux sources littérales de l’Islam dans la mouvance des Frères Musulmans, fait entendre sa voix parmi les ouléma marocains issus de la Qarawiyyine, qui détenait, jusqu’alors, le « monopole » de formation des ouléma. La fondation de Dar el Hadith el Hassaniya doit donc être appréciée dans le contexte de la recomposition par le pouvoir royal du champ religieux et son interaction avec la sphère politique. «A la fin du XIXe siècle, nous explique l’universitaire Malika Zeghal, les Sultans du Maroc tentent de mettre sous leur contrôle les Ouléma, mais font face à des résistances. Citant Abdallah Laroui, Mme Zeghal explique que « traditionnellement, les enseignants de la Qarawiyyine sont nommés, après avis du Sultan, par le cadi de Fès qui est un des leurs ; l’opinion sultanienne a tendance, au tournant du siècle, à devenir prépondérante (…) à tel point que sous Moulay  Abdelaziz, la nomination commença à se faire par Dahir comme pour les autres fonctionnaires du Makhzen». Malika Zeghal poursuit son analyse : « La fonction religieuse n’est pas pour autant établie et institutionnalisée par le pouvoir, car il est impossible pour le Sultan de contrôler directement le contenu de ce qui est transmis par les ouléma. Leur autorité religieuse se suffit à elle-même en tant qu’elle résulte de leur capacité à interpréter les textes sacrés… ».  Au tout début du XXe  siècle, les assauts coloniaux offrent à une partie des ouléma la possibilité de s’imposer au centre de l’arène politique. A partir des années 30, tandis que le pouvoir colonial commence à les incorporer dans la fonction publique, les ouléma reviennent sur la scène politique et nombre d’entre eux participent au mouvement nationaliste.
La réforme, à l’initiative du protectorat et d’une minorité d’ouléma, de la Qarawiyyine des années 30, entreprend de rationaliser et de moderniser les modes de transmission du savoir et de son contenu. Mais les ouléma, dans leur grande majorité, acceptent mal cette transformation de leurs institutions et la remise en question du savoir qu’ils reproduisent depuis des siècles. Comme un peu partout dans le monde musulman soumis à la colonisation, face à l’émergence de nouvelles élites formées au savoir d’origine occidentale, la fonction de l’homme de religion se réduit. Avec l’instauration, sous l’influence du protectorat, d’institutions modernisées de transmission du savoir, la Qarawiyyine s’affaiblit.
Au lendemain de l’indépendance, la problématique devient celle de l’intégration de la Qarawiyyine dans le giron du ministère de l’Education nationale. En 1963, un Dahir consacre la réforme de la Qarawiyyine en tant qu’Université : ses facultés sont dispersées entre Fès (droit islamique), Tétouan (théologie) et Marrakech (langue arabe) et l’enseignement primaire et secondaire religieux est séparé des études supérieures.
L’année suivante, la création de Dar el Hadith el Hassaniya, dépendant de la formation des cadres au sein du ministère de l’Education nationale, s’imposera donc rapidement comme un institut supérieur d’études islamiques, dans un esprit relativement moderniste.

• Source: « Les islamistes marocains »
par Malika Zeghal, éditions Le Fennec, 2005.

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