Culture

D’une bibliothèque à une autre

Elle ressemble à une gigantesque soucoupe volante. La nuit, lorsque les lumières éclairent ses vitraux, on dirait que les personnes qui s’y activent se préparent à une manoeuvre pour quitter le sol. Le jour, la lumière miroite partout, s’ajoutant à l’éclat d’un édifice déjà impressionnant par sa taille.
Le groupe norvégien Snohetta, qui a remporté, en 1989, le concours international d’architecture sur près de 600 candidatures, s’est inspiré de l’Egypte ancienne pour dessiner les plans de la nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie. En ressemblant à un cylindre d’aluminium anodisé de verre renforcé et surgissant d’une terre qui fait face à la mer, le bâtiment ravive le rêve d’un disque solaire cher au voeu de Ptolémée I qui a fondé la bibliothèque, il y a environ 2290 ans. La nouvelle bibliothèque d’Alexandrie est sortie des cendres de l’ancienne. Avec près de 700 000 papyrus, celle-ci constituait le plus grand centre de savoir du bassin méditerranéen. Chaque livre qui transitait par Alexandrie, était déposé à la bibliothèque, afin qu’on en fasse des doubles. Une véritable industrie du savoir, servie par un nombre impressionnant de copistes, et un lieu unique de la mémoire des hommes. La fin assignée à la bibliothèque d’Alexandrie consistait à rassembler les livres de tous les peuples de la terre.
Un projet unique qui en a fait le temple du savoir le plus important sur terre. Les volumes qu’elle abritait ont attiré de grands philosophes. Archimède, Euclide, Erastothène ou encore le chroniqueur Manéthon, tous ont travaillé dans l’enceinte de cette bibliothèque. Durant deux siècles, elle a brillé comme le centre intellectuel le plus important de la Méditerranée. Rome ne pouvait accepter une ville qui lui faisait de l’ombre.
Les envahisseurs successifs de l’Egypte ont essayé de la détruire par le feu. Incendiée une première fois durant l’invasion de Jules César, elle le sera encore par le général arabe Amr Ibn-El-As en 642. Selon une accusation tenace, c’est le calife Omar qui aurait ordonné sa destruction. Il aurait prononcé une phrase que l’on cite encore comme un exemple de syllogisme. Les livres de la bibliothèque sont superflus si leur contenu est en accord avec le Coran, et pernicieux dans le cas contraire. Et donc, quelle qu’en soit la nature, le fonds de la bibliothèque est bon pour alimenter les chaudières des bains de la ville. La nouvelle bibliothèque s’élève, aujourd’hui, sur les ruines de celle qui n’est plus. Le rayonnement de l’ancienne a été pour beaucoup dans la mobilisation des fonds qui ont servi au financement de la construction du bâtiment. Le coût de la construction, estimée à 225 millions de dollars, sans le terrain, a été supporté par l’Egypte et une dizaine de pays arabes et européens, ainsi que l’UNESCO et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Le résultat est pharaonique.
Cette bibliothèque est dotée d’une salle unique au monde par ses dimensions et sa conception. Près de 70000 m2 répartis sur treize niveaux dans un espace ouvert. En fait, il ne s’agit ni plus ni moins que de la plus grande salle de lecture du monde ! Cette salle peut accueillir 2000 personnes qui disposent de tout le confort qui a fait la réputation des grandes bibliothèques occidentales. Ordinateurs reliés aux ressources de la bibliothèque, sur lesquels on peut consulter cédéroms, multimédias, manuscrits et livres rares déjà numérisés. Les rayonnages sont à portée de main, et 60 000 titres y sont disponibles par accès direct et classés thématiquement. Nous sommes encore loin des huit millions d’ouvrages prévus dans cinq ans, la bibliothèque n’en disposant actuellement que de 240 000. Mais, déjà, les interrogations au sujet de la nature de ces livres passionnent.
Dans son édition du week-end dernier, le journal « Al Ahram » a réalisé un entretien avec le directeur de la bibliothèque d’Alexandrie, Ismaïl Séragueddine. Parmi les questions qui lui ont été posées, on trouve celle-ci : «Quelle est la place de la culture arabe dans la bibliothèque ?» L’interrogation n’est pas gratuite et traduit une vague appréhension de voir des ouvrages en d’autres langues prendre le dessus sur des livres en arabe.
Pour une bibliothèque qui se veut un centre ouvert au dialogue des cultures, l’ombre d’une confrontation pèse d’emblée sur son avenir. Et si l’on a trouvé la parade à Fahrenheit 451, température à laquelle les livres de la bibliothèque ont disparu une première fois, personne ne peut anticiper sur les effets ravageurs de quelques hommes.

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