Culture

Enfants de la rue et photographes

© D.R

Ils sont à la fois le sujet et l’oeil derrière l’appareil-photo. Le corps du livre et ses auteurs. Les photographes en question sont des enfants de la rue. Invités à participer à un atelier de photographie, sous la conduite du photographe belge Marc Pellizer, ces enfants ont appris le strict nécessaire avant de se lancer à l’aventure. Qu’ont-ils photographié ? Leur entourage immédiat. Des intérieurs de maisons pauvres. Des proches. Des enfants vaquant à quelques occupations peu édifiantes. Comme ceux qui sourient derrière un commerce de fortune. Un cageot en bois, somptueusement orné par un portrait de SM le Roi, et où est dressée une cartouche de cigarettes : Winston. Le vendeur de “cigarettes en détail” et ceux qui l’accompagnent sourient. Probablement que leur quotidien n’est pas toujours radieux, mais pour la photo – le temps d’un cliché – ils se composent un visage heureux. Les autres personnes photographiées sourient aussi, sans doute mises en confiance par l’oeil du photographe qui n’établit aucune distance entre son sujet et son vécu. Il n’y a pas de misérabilisme dans le regard que les enfants portent sur leur entourage. La réalité est appréhendée sans maquillage, mais elle est en quelque sorte édulcorée par la pudeur des photographes. L’une des rares fois où la condition de certains enfants qui dorment dans la rue est saisie de façon frontale, le décor est donné à voir, mais non pas son occupant. Des cartons, étalés sur le sol, sont montrés avec cette inscription : « J’ai dormi sur ces cartons, la nuit passée ». Une question demeure inévitable dans ce genre d’entreprise. Pourquoi équiper des enfants du centre Rabat Youssoufia de l’AMESIP (Association marocaine d’aide aux enfants en situation précaire) d’appareils photos ? Pourquoi les initier à une pratique dont on n’attend pas qu’elle transforme leur vie ? Et encore moins leur donner un métier ? Pourquoi choisir des enfants en détresse et non pas d’autres ? A-t-on le droit d’étaler la misère des gueux ? A-t-on le droit de donner à des déshérités des joujoux pour qu’ils se salissent eux-mêmes les mains en jouant avec ? A-t-on le droit de se comporter avec eux comme une espèce curieuse à qui l’on apprend à se regarder dans un miroir public ? Ces interrogations sont de mise lorsque la misère de l’autre est enveloppée dans des discours de pédagogie ou d’esthétique. À côté de cette attitude qui porte à l’indignation, il en existe une autre. Le vécu de ces enfants est une réalité, et s’en détourner ne change rien à l’affaire. Au lieu de les photographier, un photographe professionnel leur a prêté son appareil et leur appris à s’en servir. Il s’est toutefois gardé de guider leurs pas ou d’orienter leurs regards. Il leur a laissé toute la liberté pour regarder et choisir d’une façon souveraine leurs sujets. L’intérêt de ce livre de photographies réside justement dans le regard que les enfants portent sur le monde qui les entoure. L’écrivain Youssouf Amine Elalamy l’a très bien expliqué dans l’un des textes du livre : « Car, plutôt qu’un énième album de photographies, il s’agit bien ici d’un livre sur le regard ». Le regard exempt de toute influence esthétique ou de références culturelles. Seule l’émotion prédomine. Le miracle, c’est que dans une photo en noir et blanc, où il n’y a pas de contraste, ni d’effets de flou, où le cadrage est boiteux, le résultat est parlant. D’autre part, bien que les photographies des enfants ne requièrent pas des tirages pointus, la qualité de leurs reproductions dans le livre ne permet pas toujours de les apprécier à leur juste valeur. L’imprimerie porte encore une fois un coup fatal aux livres de photographies. Ce manque de soin passe avec des photos d’enfants, mais qu’en sera-t-il avec des photographes professionnels ?

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