Culture

Entretien avec Amazigh Kateb, artiste

© D.R

ALM : Tu es un habitué des festivals marocains, est-ce que tu sens une évolution du public au Maroc?

Amazigh Kateb: Oui, il y a une nette évolution de la présence féminine. Il y a dix, quinze ans, je voyais beaucoup moins de filles parmi le public surtout quand on sortait de l’axe Casablanca-Rabat. J’ai récemment joué à Al Hoceima, qui est réputée pour être un endroit plutôt conservateur et il y avait beaucoup de filles. Au final, la culture sert à ça, créer une société mixte où les hommes et les femmes peuvent se rencontrer sans parler mariage (rires)…

Quel genre de relation te lie au Maroc?

Une relation plutôt affectueuse. C’est un pays que j’aime beaucoup et que je visite plusieurs fois par an. J’avoue quand même que j’aime un certain Maroc, pas celui du tourisme ni celui de la bourgeoisie, j’adore le Maroc du peuple, celui des marchés et des ruelles. La baraka est dans le cœur des gens simples. J’aime aller manger la «Bissara» et «tkalya» dans les médinas, manger du «Chwa» au bord de la route… J’aime beaucoup les Marocains, c’est un peuple toujours joyeux et puis c’est un beau pays avec une belle jeunesse.  

Quels sont tes endroits préférés ici?  

La première fois où je suis venu au Maroc, c’était il y a 20 ans et je suis arrivé par le Nord. J’ai donc d’abord connu le nord du pays et je m’y suis beaucoup attaché. Tanger est une ville que j’adore, j’aime aussi la région de Jbala et celle du Rif surtout Al Hoceima. Ouazzane et Chefchaouen sont aussi des villes que j’aime beaucoup. Il y a aussi le côté berbère vers Nador qui me rappelle l’Algérie: la nature est la même, et la langue aussi. En fait, je viens d’abord au Maroc pour me ressourcer.
Je suis allé en France alors que j’avais 16 ans, quelques années plus tard on m’a appelé pour mon service militaire. Comme j’ai refusé de le faire, si je rentrais en Algérie je risquais la prison, et donc pendant 10ans je ne suis plus rentré, et je venais au Maroc pour sentir l’odeur du pays. J’ai une réelle histoire de vie avec ce pays qui dure depuis 20 ans.

Quels sont tes projets actuellement et dans le futur proche?

Dans le futur proche, il y a un album en préparation. C’est un album qui parle essentiellement de liberté à travers des textes de prisonniers. J’y reprends d’ailleurs les textes d’un poète marocain qui s’appelle Abdallah El Ouaddane. C’est un Zajjal mort dans les années 80, qui faisait partie du mouvement étudiant dans les années 60 au Maroc. Il a été emprisonné et a beaucoup écrit en prison. Il y aura aussi une chanson kabyle dans l’album, ça sera la première fois que je chante en Tamazight. C’est une langue que j’adore chanter, même si je ne la parle pas. Je sais qu’une grande partie de mon public est amazighophone et attend ça depuis longtemps.

Quelle est l’influence de ton père, Yacine Kateb, qui est un grand-écrivain et dramaturge, sur tes textes?

Je pense que l’influence de mon père vient plus de son éducation que de son écriture. Je n’écris pas du tout comme mon père, et je n’écris surtout pas la même chose. Lui fait de la poésie libre, alors que je suis prisonnier de la mélodie et du rythme. Si j’ai hérité de quelque chose, c’est bien de l’envie d’écrire. Il doit sûrement y avoir d’autres influences dont je ne me rends pas compte. J’ai grandi dans le théâtre de mon père, qui avait aussi une troupe de musique. Mon monde était très marqué par l’art, mais je serai incapable de dire en quoi ça m’a influencé exactement.

Tes chansons sont très engagées. Si tu avais un seul conseil à donner aux jeunes, qu’est-ce que ça serait?

Quand, dans la vie, tous les éléments te conduisent vers la même direction, en général il faut prendre l’autre sens. Il faut être vigilants par rapport à ce qui se véhicule dans les médias. Si j’avais un conseil à donner à la jeunesse d’aujourd’hui, ça serait de ne pas se laisser manipuler et de réfléchir pour eux-mêmes.
    
Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, il y a une relève artistique dans le Maghreb?

Oui, il y a une relève artistique mais elle peine à se faire entendre parce qu’il n’y a presque pas d’infrastructures. Aujourd’hui, il y a quelques festivals où les jeunes peuvent jouer, il y a quelques endroits où ils peuvent exposer mais il n’y a pas encore de circuit artistique comme un peu partout dans le monde. Dans une ville comme Casablanca, il devrait y avoir quelque chose comme 300 salles avec chacune une programmation hebdomadaire ou mensuelle, et ce n’est pas seulement valable pour la musique mais aussi pour le théâtre, la peinture et toutes les autres formes d’art. C’est pour ça que, parmi la relève artistique maghrébine, beaucoup de gens sont partis ailleurs. On a, donc, l’impression qu’il ne se passe rien ici, mais en fait, c’est une terre qui est tellement dure avec ses enfants qu’ils sont obligés d’aller voir ailleurs.

Est-ce qu’il y a des artistes marocains de la nouvelle scène que tu apprécies particulièrement ?

Artistiquement, il y de très belles choses qui se passent au Maroc. Par exemple, Haoussa est un groupe qui m’a mis une tarte la première fois où je les ai écoutés. Il y a aussi Amarg Fusion d’Agadir, ce qu’ils font est magnifique. C’est de la vraie musique, de la vraie relève, pas du copier coller. Et puis il y a un patrimoine énorme à exploiter. Au Maroc, chaque région a trois ou quatre genres musicaux différents. Que ce soit à Doukkala, dans le nord ou au Sud, il y a un potentiel ancestral très vaste qui attend d’être exploité.

Amazigh, si tu avais une seule journée à vivre, comment tu la passerais ?

Si je n’avais qu’une seule journée à vivre, je la passerai avec mes enfants, à les embrasser.

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