Culture

Epreuves du Bac : la grande fuite en avant

L’étanchéité du système des examens au Maroc est-elle une réalité ? Les mesures prises par le ministère de tutelle peuvent-elles mettre les épreuves à l’abri de la tentation ? A qui incombe la responsabilité dans la scandaleuse fuite des épreuves de baccalauréat de l’Académie de Meknès-Tafilalet ? Pourquoi cela s’est-il passé dans cette académie et pas dans  d’autres ? Ce qui vient d’arriver est-il un précédent? Rappelons, ironie du sort !, que l’académie, par qui le scandale est arrivé, avait connu, en 1978, une fuite pareille des épreuves du baccalauréat. Ce fut le seul «antécédent» que notre système ait enregistré depuis cette date, avant qu’un second scandale n’éclate en ce vendredi 9 juin 2006 sur le territoire de la même académie. Ce jour-là, une seconde histoire de fuite des épreuves éclate au grand jour en dépit de la tentative de quelques administratifs de camoufler l’affaire, suite à une information selon laquelle un candidat aurait montré, dans le lycée Lalla Amina, une photocopie de l’épreuve d’anglais avant même que les épreuves ne soient distribuées. Cette fuite des épreuves est venue montrer, encore une fois, que le système des examens est poreux.
Et ce n’est surtout pas la procédure suivie en la matière qui nous contredira. Quelles sont alors les étapes qu’une épreuve d’examen est censée parcourir avant de tomber entre les mains d’un candidat ? Explication d’un inspecteur du Centre national des examens à Rabat : A deux mois de l’examen, les enseignants, toutes disciplines confondues, sont priés de faire des propositions de sujets. Les propositions, qui se font par la voie d’un pli confidentiel, sont déposées auprès de l’administration de chaque établissement scolaire. Une fois recueillies, ces propositions sont envoyées par l’administration à la délégation de l’Education nationale. Les inspecteurs de la délégation procèdent à leur tour à l’étude, puis au tri des sujets proposés. Les propositions retenues sont par la suite communiquées aux coordinateurs des académies du Royaume qui sont appelés à faire leur évaluation.
A ce stade, ces derniers sont censés vérifier si les propositions sont conformes à certaines caractéristiques définies par le ministère de tutelle. Une fois la sélection faite, les propositions sont livrées au Centre national des examens. A ce niveau, une cellule spécialisée veille à trancher sur les sujets qui seront finalement retenus. Constituée d’une vingtaine d’inspecteurs, cette cellule est appelée à mettre en place les épreuves de la première session, de la session de rattrapage et, à la fin, garder en réserve des sujets au cas où des incidents se produiraient, le cas échéant la fuite des épreuves du baccalauréat à Meknès-Tafilalet. Passé ce moment, le Centre national des examens est censé envoyer une épreuve et une seule à chaque directeur d’académie. Ultime et néanmoins très sensible étape, comme le prouve le scandale qui a éclaboussé l’Académie régionale de Meknès-Tafilalet.
Interrogé sur les mécanismes de contrôle mis en œuvre pour éviter d’éventuelles fuites, le directeur de cette académie, Ahmed Haddouchi, a crié à la « trahison ». « Il y a une position que vous ne pouvez jamais atteindre, c’est ce qui peut se passer dans l’esprit d’un individu, quel que soit le degré de confiance qu’il arrive à acquérir », a-t-il dit dans une référence aux deux complices en question, de simples agents de service, qui ont réussi à tromper la vigilance de l’équipe de tirage pour sortir, moyennant un deal sonnant et trébuchant, des copies des épreuves d’anglais, de mathématiques et de sciences naturelles. Sachant que l’auteur de la fuite des épreuves est un simple smicard, plus exposé par conséquent à la tentation de l’argent, n’aurait-il pas fallu faire preuve de « méfiance » en lieu et place de la « confiance »? N’aurait-il pas été plus prudent de renforcer les mécanismes de contrôle pour éviter tout problème ? «Il ne s’agit pas d’un manque de contrôle.
Nous avons une équipe qui s’enferme pendant toute la période du tirage, il n’y a pas de contact avec l’extérieur pendant toute la période de l’examen, nous changeons les serrures chaque fois que l’équipe s’enferme pour tirer et nous avons les procédures de sécurité là où il faut en mettre. Mais lorsque vous avez quelqu’un qui a pris la décision de vous trahir, ce sont des choses que vous ne pouvez pas toujours prévoir », nous a dit le directeur de l’académie controversée, essayant par la même occasion d’atténuer les effets que cette crise pourrait avoir sur la crédibilité de l’enseignement public national.
« Le système est trop solide pour que ce genre d’incidents puisse mettre en doute sa crédibilité», a-t-il rétorqué, avant de se lancer dans un long dithyrambe en faveur des enseignants «très conscients», « très compétents », des administratifs « très investis dans la fonction », et des inspecteurs « bien formés » et « très qualifiés ». Cela étant, peut-on faire porter le chapeau à un simple pauvre agent ? La responsabilité n’incombe-t-elle pas à l’académie de Meknès-Tafilalet, et plus largement à un ministère de tutelle qui, à la surprise générale, a préféré la « fuite en avant » à la reconnaissance de sa responsabilité dans cette affaire ? La manière dont a été gérée cette crise, faut-il le rappeler, est catastrophique. Les enseignants, eux-mêmes, se demandent encore comment le ministère de tutelle osait affirmer que ces fuites étaient circonscrites dans le temps et l’espace alors que les épreuves du Bac avaient déjà fait le tour des cyber-cafés.
A-t-on réellement mesuré l’impact de cette affaire sur le moral des candidats aux examens du baccalauréat ? Mercredi soir dernier, au moment de l’annonce des résultats du baccalauréat, plusieurs élèves du lycée Salaheddine Al Ayoubi, à Salé, nous ont évoqué les séquelles de cette crise. « J’ai été désappointé le jour de l’examen en apprenant que des copies des épreuves avaient circulé à Témara. C’est inacceptable que certains comme nous se triturent les méninges pour réussir leur examen, alors que d’autres passent le cap sans avoir fourni le moindre effort », déplore Amin, un jeune lauréat. Qu’en pense, alors, le ministère de tutelle qui prétend défendre « l’égalité des chances » ?

Quand le MEN s’intéresse au phénomène de la triche
Après le scandale de la fuite des épreuves du baccalauréat, le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation des cadres nous a sorti un rapport sur le phénomène de la triche. Intitulé « Les mesures prises à l’échelle régionale pour lutter contre le phénomène de la triche lors des examens du baccalauréat », ce rapport égrène le chapelet des cas de triche enregistrés dans l’ensemble des académies régionales du Royaume. Le département de tutelle avance un chiffre de 687 cas de triche signalés au plan national, surtout au niveau des académies régionales de Guelmim-Smara, Rabat-Salé-Zemmour-Zaër (94 cas dans chaque académie), Laâyoune (70 cas), Taza-Al Hoceïma-Taounate (68 cas), alors que l’académie régionale d’Azilal n’a enregistré que deux cas. S’agissant des moyens utilisés dans la triche, le même département cite le téléphone portable, l’usurpation d’identité, et l’échange de documents. En ce qui concerne les mesures punitives, elles varient entre la note zéro et la suspension des candidats dans un délai allant d’un à cinq ans.
Reste, maintenant, à savoir l’utilité et l’opportunité de ce rapport. Le MEN veut-il faire son « mea culpa» dans le développement galopant de ce phénomène ? Ou désire-t-il faire diversion pour nous faire oublier le scandale accablant de la récente fuite des épreuves du baccalauréat ? Une chose reste sûre : Le département en question aurait mieux fait de nous édifier sur sa responsabilité dans le scandale qui a secoué l’académie de Meknès-Tafilalet. Or, en nous servant le rapport sur le phénomène de la triche, il aurait peut-être voulu se donner « bonne conscience ». Les élèves seraient responsables de la dégradation de l’enseignement national ; quant au ministère, il s’est contenté de constater les dégâts ! Et Dieu sait combien il y en a dans ce département qui bouffe pourtant le 1/3 du budget général de l’Etat. Sans résultats autres que les maux qui gangrènent dangereusement le secteur de l’enseignement. Résultat ? Les parents d’élèves, qui boudent de plus en plus l’enseignement public, se dirigent vers les missions françaises pour garantir à leurs rejetons une éducation et un niveau culturel respectables. Mais ce fait avéré semble échapper à la « vigilance » de ce département qui, à l’évidence, a du mal à dessiller les yeux pour remédier à la crise qui frappe de plein fouet un secteur quasi en panne. 

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