«À la veille de la visite de Wonderwood, directeur de la Caisse de Stabilisation du Cacao, le Fakumbu en était à son onzième président. Chacun d’eux, en son temps, crut avoir les meilleures raisons de se prendre pour un homme providentiel qu’une Afrique inassouvie attendait à genoux. Tous tenaient pour une grave offense que l’on osât mettre en doute leur intelligence ou leur bonne foi. Les uns baragouinaient l’anglais, les autres le français, et certains ne trouvaient pas ridicule, dans leurs disputes nécessaires, de se traiter mutuellement de «homards» et de «frogs». Les uns après les autres, les uns par les autres, ils furent balayés en un jeu sanglant et destructeur dont la tragédie se lisait dans les quatre coins du pays.
Chaque matin, le peuple s’enquérait du nom de l’homme fort du jour, était-ce celui d’hier? La nuit avait-elle accouché d’un nouveau génie capable de battre à leur propre jeu et sur leur terrain tous les vivants? Un géant devant qui le monde s’écraserait à deux dimensions, lui seul en étant la troisième et l’ultime ? Lui seul dressé, détenant l’épaisseur, la profondeur, la signification, quand les autres ne seraient que des signes ridicules s’agitant à ses pieds ? Wonderwood se cala dans son fauteuil avec un soupir. De la patience, il allait lui falloir beaucoup de patience… Son prochain interlocuteur avait pour nom Angos. Colonel Angos, le tout nouveau président du Fakumbu. Jeune, sémillant, ombrageux, en quête de reconnaissance. Après lui, il verrait Nkomi, le vieux, l’inamovible président du Nagambé. En deux jours, il aurait sous les yeux les deux aspects du Soudali, les deux faces de l’Afrique. Deux expériences aussi différentes que possible, inaugurées au même moment. L’une, politiquement stable, trop stable, l’autre bouillonne et effervescente. En principe, après un quart de siècle, les résultats devraient en être foncièrement différents. Le sont-ils ?»
• E.M.H.
