Culture

Faouzi Skali : «Remettre au goût du jour la culture soufie»

© D.R

ALM : Quelle serait la place et le rôle du soufisme dans la société consommatrice d’aujourd’hui ?
Faouzi Skali : La société d’aujourd’hui a tendance à se laisser emporter par le paradigme économique, la mondialisation, depuis précisément la disparition continue du communisme.
On a pensé à un certain moment que le monde allait se transformer en un modèle uniforme soutenu par le mode démocratique et néolibéral. C’est dans ce sens que Francis Yokoyama a pensé qu’il pouvait prophétiser la fin de l’Histoire, ce qui n’est pas le cas. La réalité du monde d’aujourd’hui est beaucoup plus créative, il y a eu quelques nouveaux rebondissements. C’est en effet l’émergence des cultures et identités, de religions et concepts spirituels qui reviennent en avant scène, de façon un peu violente et c’est ce qu’on a appelé le choc des civilisations. Ceci pourrait s’expliquer par la naissance d’un matérialisme exacerbé et extrémiste. Notre monde est actuellement à la recherche d’une vraie sagesse, d’une voie spirituelle universelle, une sorte de véritable équilibre qui pourrait freiner cette globalisation basée sur l’élimination de certaines cultures et pensées au profit d’autres. C’est ce que j’appelle barbarie intellectuelle qui donne naissance à une «contre-barbarie».

D’où le besoin de retrouver et d’encourager les valeurs spirituelles à dimension humaine et universelle ?
Tout à fait. Nous avons besoin de ces valeurs spirituelles, de sagesse qui pousseraient l’Homme à se réconcilier avec lui-même et avec la société, avec les autres et surtout avec la nature. Une nouvelle manière de civiliser l’Homme d’aujourd’hui, d’où le retour, la découverte ou plus précisément la redécouverte de ces grandes spiritualités qui ont fondé nos civilisations. Dans cette quête de redécouverte, s’est observée une sorte de résurrection de la culture soufie qui a été la source, dans le monde musulman, d’une inspiration et d’un patrimoine poétique, philosophique extraordinaire, littéraire, esthétique, initiateur… En effet le patrimoine littéraire et esthétique inspiré du soufisme est aujourd’hui l’un des plus médiatisé, vu sa richesse et sa diversité ; c’est Konya, Kaway du Pakistan, Youssou N’dour, Ousame du Maghreb… en plus des ouvrages sur le soufisme pratiquement traduits dans toutes les langues. La poésie soufie transforme et métamorphose ceux qui la lisent profondément, s’en inspirent. C’est une forme symbolique de l’épopée humaine et de l’aventure de la spiritualité. Comme toutes les grandes œuvres de l’humanité, cette forme de pensée est tout aussi indispensable au monde d’aujourd’hui qu’elle ne l’a été au XIIIème siècle. La culture soufie nous conduit vers l’esprit de l’universalisme, concept qui transcende le clivage tribale, culturel, et qui va vers ce qu’il y a de plus profondément humain, chez les individus. Ce patrimoine est l’âme de la civilisation musulmane ainsi que la base de son mode de vie, ses valeurs, son architecture, sa calligraphie, son écriture… Nous sommes en train de le restaurer et de faire redorer ce souffle créatif qui continue d’inspirer notre société d’aujourd’hui, qui donne un sens à notre relation au travail, à la créativité artistique et intellectuelle de façon générale, au partage, à la solidarité…

Le festival de la culture soufie entend dans ce sens, rendre visible, lisible, compréhensible et accessible cette culture aux citoyens ?
C’est un projet civilisationel. Le festival donne une sorte de tonalité, comme dit un proverbe japonais : «Une seule fleure et c’est le printemps». Toutes les conditions sont réunies pour l’éclosion. Pendant longtemps le soufisme n’était pas présent dans notre espace public, c’est la raison qui nous pousse aujourd’hui à travers le festival de la culture soufie à rapprocher cette culture des citoyens.
Nous sommes amenés à remettre à l’ordre du jour, réactualiser cette voie spirituelle, de sagesse dont a parlé et pratiqué Ibn Khaldoun, Al Ghazali, Ibn Rochd, Ibn Toufaïl, Al Arabi… Le festival est une occasion de relier Fès avec son esprit, son histoire et son âme.

Quelles sont les particularités de la seconde édition du Festival de la culture soufie de Fès ?
Elle coïncide avec la célébration de douze siècles de la fondation de Fès. Les lieux de la manifestation, la Madrasa Bouânania, le musée Batha… font de nouveau valoir notre patrimoine culturel et historique. Le choix du thème «Orient-Occident» permettra de créer un lien avec l’altérité, la diversité. C’est une manière de bannir cette image caricaturale que l’on donne de l’Islam. Nous sommes une culture, une religion de partage, de tolérance, d’amour, d’entraide… Nous tentons de créer les paradigmes et les références qui vont permettre de cimenter, d’alimenter et d’inspirer une véritable vision sociétale. Nous invitons pour cette nouvelle édition de nouveaux artistes, penseurs, chercheurs, venus d’autre continents, d’autres horizons culturels… Le festival est un hommage à l’humain et à son élévation, un hommage à la sagesse qui est au cœur de la civilisation islamique.

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