Culture

Fathallah El Majd : L’amour aveugle

«Bonjour.
– Bonjour.
– S’il vous plaît, j’ai une ceinture en or que je veux vendre.
– Oui, montre-la moi.
– Tiens.
– Elle est magnifique, disposes-tu du reçu de son achat ?
– Non, je le garde chez moi.
– Alors, je ne peux pas marchander avec toi si tu ne disposes pas du reçu de son achat.
– Donc, tu la gardes en attendant que je vais chercher le reçu chez moi… Je reviens d’ici une heure».
Nous sommes à Oujda. C’est dans cette ville que Fathallah est né, il y a une quarantaine d’années, a grandi et où il a poursuivi ses études jusqu’à la cinquième année d’enseignement fondamental. Il vient, ce lundi 13 mars 2000, chez ce bijoutier de la rue Rekkabine et lui propose l’achat de cette ceinture en or avant de partir chercher, chez lui, le reçu. Le bijoutier l’attend. Une, deux et trois heures passent. Et Fathallah n’a pas donné signe de vie. Est-il allé le chercher dans une autre ville? Le bijoutier n’en sait rien. Il attend le jeune homme qui lui a laissé la ceinture en or. L’après-midi passe et la fin de la journée approche. Des interrogations lui hantent désormais l’esprit : Quelque chose d’imprévu l’a retenu, l’a empêché de retourner chez le bijoutier et l’a obligé de revenir avec le reçu à la main? Ou bien s’agit-il d’un voyou qui a subtilisé la ceinture en or à une femme ou à un bijoutier ? Cette dernière question lui glace le sang.
«Je ne dois pas garder la ceinture jusqu’au lendemain… Il peut être un cambrioleur qui a été arrêté quand il est sorti de ma bijouterie… Il peut faire croire aux policiers que je viens de la lui acheter et je deviens sans raison un receleur…», pense le bijoutier qui s’adresse aussitôt à son collègue et ami qui dispose également d’une bijouterie située non loin de la sienne. Il veut lui demander conseil.
« Tu n’as pas d’autre choix que de téléphoner à la police pour l’aviser. Sinon, tu ne peux pas prévoir ce qui peut arriver», lui conseille son ami.
Rapidement, le bijoutier compose le numéro du commissariat. Un agent qui se charge de la salle de trafic lui répond :
– «Allô, la sûreté d’Oujda à l’appareil.
– Bonsoir, M. l’agent. Je suis bijoutier. Un jeune homme qui se nomme Fathallah avait l’intention de me vendre une ceinture en or. Mais, il est parti chercher le reçu et il n’est pas revenu».
Les policiers d’une brigade policière se dépêchent vers la bijouterie et notent les déclarations du bijoutier. Celui-ci leur décrit le signalement et les traits de Fathallah. Ils se lancent à sa recherche. Malheureusement, ils n’arrivent pas à le trouver !
Dimanche 18 juin 2000. À la rue Hammam Boughrara, les voisins d’une femme qui occupe seule une chambre la retrouvent corps sans âme, gisant dans une mare de sang. La brigade de la PJ, qui s’occupe de l’affaire du bijoutier et de Fathallah, se dépêche sur les lieux, effectue le constat d’usage et conclut qu’il s’agit d’un meurtre. Qui est l’auteur de ce crime ? L’enquête démarre. Les fichiers des repris de justice et des recherchés examinés de A à Z. Et les enquêteurs pensent à Fathallah et la ceinture en or qu’il a abandonnée chez le bijoutier. Ils l’interpellent. Étrange! Ces enquêteurs ne l’ont pas trouvé durant trois mois. Mais une fois que l’affaire concerne un meurtre, ils l’ont localisé. Il fréquente le restaurant café de son père situé à la rue Marrakech, le passage le plus célèbre de la nouvelle ville, toujours plus bruyante et toujours animée. Les enquêteurs le conduisent au commissariat de police, l’interrogent sur la femme retrouvée morte chez elle à la rue Hammam Boughrara. Il se disculpe.
– «La ceinture en or que tu as abandonnée chez le bijoutier?»
Fathallah est coi. Un peu plus tard, il pleure comme un enfant. Pourquoi ? Parce qu’il veut lâcher le morceau. Quel morceau ?
– «Je suis l’auteur d’un triple meurtre», avoue Fathallah en fondant en larmes comme un enfant.
Perplexes, les enquêteurs le fixent curieusement. Trois meurtres ? Fathallah sanglote tout en disant à haute voix : « Je me suis repenti».
– «Si tu regrettes, dis nous tout ce que tu as commis. Ça te déchargera devant Dieu», s’adresse à lui le chef de la brigade.
– «D’abord, j’ai tué Michel Dokali, un ressortissant italien…», entame-t-il.
À la rue Marrakech, le père de Fathallah dispose d’un restaurant café. L’Italien, Michel Dokali, le fréquentait souvent au point qu’il a entretenu une relation amicale avec Fathallah qui aidait souvent son père.
– «Nous parcourons, de temps en temps la ville à bord d’une Super 5 que l’Italien avait louée», affirme-t-il aux enquêteurs.
À bord de cette voiture, ils ont tous les deux emprunté la route vers Saïda. L’Italien avait l’intention d’y louer un cabanon. De retour, Michel Dokali a préféré découvrir la région d’El Garbouze, située à l’entrée de la ville d’Ahfir. L’Italien arrête la voiture dans un lieu plus ou moins désert et descend. Fathallah tarde de descendre. Michel marche lentement loin de la voiture comme s’il cherche à découvrir la beauté du paysage. Tout d’un coup, Fathallah ouvre le portière, descend de la voiture et avance vers l’Italien. Et c’est la surprise. Il le surprend d’un coup de bâton sur la tête. Fathallah fouille un petit sac qu’il portait. Il y trouve plus d’un million de francs français (à l’époque il n’y avait pas d’euro. Cette monnaie unique n’a été mise en circulation qu’au 1er janvier 2002). Fathallah monte dans la voiture, abandonnant l’Italien corps sans âme. Il abandonne ensuite la voiture avant de retourner chez lui.
Quelques jours plus tard, le mercredi 28 juin 2000, Fathallah rend visite à Rabiâ, une proche de sa famille, la soixantaine.
– «Prêtes-moi A Lalla Rabiâ
500 DH.
– Ce soir Incha Allah. Mais j’ai un service à te demander.
– Lequel à Lalla Rabiâ.
– Je veux un fkih. Si tu ne le ramènes pas, je ne te remetterai pas le moindre sou».
Fathallah part. Le soir, il retourne chez Rabiâ.
– Où est le fkih ?
– Il a quelque chose à faire. Mais, il m’a remis cet encens pour que tu le brûles dans un brasero».
Rabiâ rentre à la cuisine et se prépare pour mettre le feu dans le brasero. Mais, Fathallah ne la rate pas. Il la surprend à l’intérieur de la cuisine avec un bâton à la main. Il ne lui laisse pas le temps de lui demander ce qu’il fait à la cuisine. Il lui assène deux coups fatals. Rabiâ rend l’âme. Fathallah rentre dans sa chambre à coucher, ouvre l’armoire et met la main sur quatre mille dirhams. Après, il sort et retourne chez lui sans avoir le moindre regret.
«Ma troisième victime remonte au mois de mars, avant les deux derniers meurtres et avant d’aller chez le bijoutier de la rue Rekkabine», continue-t-il d’avouer.
«C’était le 25 mars que j’ai choisi un bijoutier ayant une bijouterie loin de la rue Rekkabine… Je le connais assez bien. C’est un ami de mon père… Je suis venu chez lui et lui ai demandé de m’accompagner à la maison parce qu’il y a des Algériens qui nous attendent pour acheter des bijoux en or…». Le bijoutier ne devait pas rater l’occasion. Il l’accompagne à bord de sa Mercedes 250. Ils rentrent. Il n’y a personne. Le bijoutier en fait la remarque. Fathallah ne perd pas de temps. Il le surprend d’un seul coup de bâton. Le bijoutier rend l’âme. Fathallah enroule le cadavre par un drap, le met dans le coffre de la voiture, le conduit jusqu’au boulevard Yacoub Al Mansour, juste à côté du service de la Douane à Oujda, l’abandonne et retourne chez lui comme si rien ne s’est passé. La nuit, il se rend à la bijouterie et la cambriole. Le lendemain, il commence à liquider le butin.
«J’aime Nadia…C’est pour elle que j’ai tué, pour lui faire plaisir et célébrer avec elle une nuit de noces des mille et une nuits», a-t-il avoué aux juges de la chambre criminelle près la Cour d’appel d’Oujda lors de son interrogatoire. Des juges qui l’ont condamné, ce jour de la mi-octobre 2000, à la peine capitale.

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