Culture

Fausses algériennes, vraies marocaines

© D.R

Algériennes ou Marocaines, les femmes du “plus beau tableau au monde“ ? À l’heure où l’Algérie arbore très haut l’événement-phare de son année en France, tout le Paris des arts rit sous cape du motif de sa fierté. L’affront a trait à l’identité des femmes peintes dans le célèbre tableau d’Eugène Delacroix : “Femmes d’Alger dans leur appartement“. Si le titre de ce tableau, datant de 1834, est sans équivoque, les femmes qui y sont peintes sont algéroises autant que des Parisiennes ressemblent à des Chinoises. Au 19e siècle, les contemporains du peintre Delacroix avaient d’autres soucis que de remettre en question le bien-fondé du titre du tableau. Subjugués par les qualités picturales de l’oeuvre, Victor Hugo avait loué l“Orientale étincelante de lumière et de couleur“, Théophile Gautier “la finesse et le clair-obscur“ et Charles Baudelaire a consacré un texte entier pour s’exalter devant ce “petit poème d’intérieur“. Ce concert de louanges a atteint son point culminant avec le peintre Renoir qui a déclaré “il n’y a pas de plus beau tableau au monde“. Et c’est justement cet énoncé que les organisateurs ont choisi comme titre à l’étape la plus importante du parcours de l’exposition “De Delacroix à Renoir, l’Algérie des peintres“ qui se poursuit jusqu’au au 25 janvier 2004 à l’Institut du Monde Arabe (IMA). Aucun effort n’a été épargné pour que le prestige de cette exposition vole aux quatre coins du globe. Un magnifique catalogue de 300 pages, vendu à 49 euros, restitue dans toutes leurs splendeurs près d’une centaine d’oeuvres louant les paysages, les hommes et les femmes de l’Algérie. Les paysages et les hommes, peut-être, mais pas les femmes ! Les amateurs de la peinture de Delacroix, hélas fort nombreux à Paris, savent que ce peintre est vraiment très peu désigné pour défendre les couleurs de “Djazaïr, une année de l’Algérie en France“. Ils savent que le séjour de Delacroix en Afrique du Nord s’est déroulé presque intégralement au Maroc. Les plus généreux n’accordent guère plus de 48 heures au passage de Delacroix à Alger. Les termes avec lesquels ils se réfèrent à cette escapade décrivent leur embarras : “courte halte“, “saut furtif“ ou “brève escale“. Comparées aux cinq mois que le peintre a écoulé au Maroc, à partir de janvier 1932 en compagnie de la mission du comte de Mornay auprès du sultan Moulay Abderrahman, les 48 heures algéroises ne pèsent pas lourd. De là viennent les soupçons sur l’identité des femmes de la pièce maîtresse de la manifestation. Elles sont censées se prélasser dans un harem à Alger. Comment est-ce que Delacroix a fait pour déjouer en moins de deux journées la vigilance des gardiens d’un harem et peindre un tableau de 180 x 229 cm ? Cette question, il faut surtout éviter de la poser. Les défenseurs de la nationalité algérienne des femmes peintes dans le tableau de Delacroix ont trouvé la parade depuis fort longtemps. Ce peintre aurait dessiné selon eux des croquis, extrêmement détaillés, dans un carnet qu’il a sorti de ses bagages, une fois de retour à Paris. Il a ainsi peint les femmes algériennes à tête reposée dans un atelier parisien. Peu importe si le temps n’était pas ensoleillé. Les femmes qu’il a transportées d’Alger sont le soleil du tableau. Soit ! Mais que répondre au dévouement des historiens d’art qui ont consacré leur vie à l’étude de Delacroix et de son oeuvre. L’un d’eux, fort érudit, s’appelle Maurice Arama. Il a consacré deux ouvrages de référence à ce peintre, “Le Maroc de Delacroix“ et “Eugène Delacroix au Maroc“, et en prépare un troisième, qualifié d’explosif par les personnes qui ont lu les épreuves. Maurice Arama a démontré que les femmes peintes dans les tableaux orientalistes de Delacroix vivaient sous le toit d’un Marocain de Tanger, Abraham Benchimol. « À vrai dire, quelques coups de fusil avaient vite dissuadé Delacroix de peindre des musulmanes, surprises au bain ou sur leur terrasse. C’est pourquoi les créatures de rêve, alanguies et vaporeuses, dont il peupla plus tard ses grandes toiles orientalistes, “Femmes d’Alger dans leur appartement“ ou “Intérieur d’un harem à Oran“, sont en réalité des Juives du Maroc », écrit-il. Contacté à ce sujet par ALM, Maurice Arama, sans doute excédé par l’hilarité que provoque dans les milieux artistiques la nationalité des femmes du “plus beau tableau au monde“, commence par répondre “N’insistez pas !“ Et puis, il attire l’attention sur un fait qu’il trouve, très légitimement d’ailleurs, scandaleux. Le vrai “plus beau tableau au monde“ se trouve toujours au Louvre qui a refusé de le prêter à l’IMA ! Donc Algériennes ou Marocaines, les femmes de “Djazaïr, une année de l’Algérie en France“ sont de toute façon fausses, puisque le tableau qui les montre à l’IMA est une copie acquise par le musée des Beaux-Arts d’Alger en 1929. Plus étonnant, Maurice Arama est moins catégorique qu’auparavant sur la marocanité des femmes d’Alger. Il accroît désormais le rang de ceux qui défendent la thèse des croquis pris par Delacroix à Alger. L’historien d’art ajoute toutefois qu’il est normal que le peintre « ait mêlé les femmes des deux pays », une fois de retour à Paris. Il y aurait un peu d’Algériennes et un peu de Marocaines dans ce tableau ! L’oeuvre dont tout le monde se fait des gorges chaudes serait donc le premier manifeste de l’Union du Maghreb!

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