Culture

Forêt : La ruée vers l’or vert

© D.R

Moyen Atlas. Sur la route sinueuse et petite qui mène de Khénifra à Ajdir, rares sont les véhicules croisés en cette matinée hivernale où la température chute en deçà du zéro. Grands taxis reliant les bourgades et petits villages nichés à plus de 1200 m d’altitude, vieilles fourgonnettes réservées au bétail, aux marchandises pour les souks hebdomadaires mais aussi à leurs propriétaires. De temps à autre, l’on croise ce qui fait l’essentiel de l’activité économique de cette région,  ces grands camions, vieux ou neufs, dont la cargaison est invariablement la même : du bois. C’est qu’à quelques kilomètres se trouve l’un des gisements naturels les plus lucratifs du Maroc : la cédraie du Moyen Atlas. Des milliers d’arbres, centenaires pour la plupart. Dans ces régions, la forêt est plus qu’un élément du décor. C’est un gagne-pain, une source de richesse, un héritage qui se transmet de génération en génération de bûcherons, bergers, charbonniers…
C’est qu’en plus de son rôle économique, la forêt est un socio-régulateur, vu le nombre important d’emplois qu’elle génère. En effet, chaque année, la forêt offre 100 millions de journées de travail, 28000 emplois dans les entreprises forestières, 14000 emplois dans le secteur de transformation, 26000 emplois dans la collecte de bois de feu, 40.000 emplois dans le domaine de parcours et 4544 emplois dans la fonction publique. Cette ressource naturelle représente par ailleurs une source de revenus pour les populations usagères et les collectivités locales de l’ordre de 5 milliards DH annuellement. La forêt est également un espace ouvert à près de 30.000 chasseurs et 3.000 pêcheurs.

Trafiquants d’or vert
Une mine d’or qui ne pouvait laisser personne indifférent. A commencer par l’Etat. Entre différentes taxes (TVA de 20 % et taxe de 1,6% appliquée aux exploitants) et revenus d’exploitation directe de la ressource forestière, le budget se voit chaque année alimenter d’une belle somme en provenance des forêts nationales.
En 1992, les recettes forestières ont rapporté au trésor marocain la bagatelle de 359 millions DH.
En 2003, ces recettes ont atteint 659 millions DH. Cette manne est également alimentée grâce aux enchères publiques qui sont régulièrement organisées par l’administration de tutelle.
Les régions concernées chaque année sont définies dans un plan d’aménagement forestier établi pour une période allant de 20 à 25 ans. «Ce plan d’aménagement, comme c’est le cas en urbanisme, délimite les zones qui doivent être exploitées régulièrement, celles qui doivent être reboisées, les volumes de bois concernés par l’exploitation ainsi que les zones ouvertes à la chasse et à la pêche.
Un plan global et général que les ingénieurs et techniciens des eaux et forêts révisent chaque année. Sur la base de leurs données, une mise aux enchères publiques est organisée pour l’attribution des exploitants », explique un cadre du Haut Commissariat à la retraite depuis quelques mois.
Le prix payé par les adjudicateurs de ces appels d’offres publics varie en fonction du prix de la ressource exploitée. Actuellement, c’est une superficie de près de deux millions d’hectares qui est aménagée pour l’exploitation.
Le Moyen Atlas se taille la part du lion avec un total de 410.000 hectares exploités, suivi par les régions centre et Nord-ouest (Maâmora) qui totalisent respectivement 280.000 et 204.000 ha.
Au Maroc, sept types de bois sont exploités de manière régulière : cèdre, chêne-liège, chêne vert, thuya, arganier, genévrier et pins. Prenons l’exemple du bois.
Le plus cher demeure le cèdre dont le m3 est vendu à 6000 DH. Oon peut dès lors aisément comprendre la ruée des «forçats des bois» vers les régions d’Ifrane, Khénifra et El Hajeb.
D’autres bois sont également prisés, non pour leur valeur mais parcequ’ils demeurent les plus utilisés sur le marché local. C’est l’exemple des différents bois de pins, dont le m3 varie entre 500 et 600 DH. Autre produit qui aiguise l’appétit des exploitants, le liège dont le prix de la stère varie en fonction des fluctuations du marché international, se situant entre 700 DH/stère à près de 2000 DH/stère. Ces prix changent en outre en fonction de la production de deux pays méditerranéens, Espagne et Portugal en l’occurrence.
Le même procédé est utilisé pour les produits dérivés, dont l’exploitation est surveillée de près par le département des Eaux et Forêts.
Et pour cause, c’est un secteur qui rapporte beaucoup d’argent.
A commencer par les différents champignons utilisés dans l’industrie pharmaceutique. Le kilo de lichen extrait de la cédraie du Moyen Atlas est vendu à plusieurs milliers de DH.
Une production est entièrement dédiée à l’exportation. Le Maroc est également un grand producteur de carroube, un produit très utilisé dans l’industrie agroalimentaire et pharmaceutique, extrait notamment des forêts de Béni-Mellal et Azilal.

Riverains ou exploitants ?
Voici comment, officiellement, nos forêts sont exploitées. Mais une aussi grande richesse suscite beaucoup de convoitises. Les « tacherons de bois » eux-mêmes, ceux qui sont autorisés par le département des Eaux et Forêts ont souvent du mal à respecter le volume de bois à découper, et ce malgré la vigilance des services de contrôle. «Difficile avec les moyens dont on dispose de surveiller de grandes surfaces de forêts», reconnaît un garde-forestier dans la région d’Aïn Leuh.
Et de préciser que les grands ravages sont l’œuvre de personnes, habitant aux alentours du domaine forestier. Si la législation autorise les riverains à ramasser le bois dur en pleine forêt, elle leur interdit d’en couper.
Ce qui n’est pas pour plaire à certains aventuriers qui, malgré la mise en place d’un dispositif de répression sous forme d’amendes lourdes, n’hésitent pas à s’aventurer en forêt armés de haches.
Tous avancent que c’est uniquement pour subvenir aux besoins de leurs familles ou alors pour chercher le bois de chauffage, indispensable lors d’hivers rigoureux. Des risques pris pour pas grand-chose, le kilo de bois de chauffage étant estimé à 0,90 DH.
Le revenu d’une bonne journée de travail peut ainsi se situer entre 40 et 50 DH. Mais la perte chaque année est estimée à environ 30.000 ha, soit 0,3 % de l’espace forestier marocain. « Ceci veut dire une seule chose: les écosystèmes connaissent une dégradation inquiétante due à un dysfonctionnement de leurs mécanismes physiologiques, biologiques et sociologiques», apprend-on auprès du Haut Commissariat.
«Ces dysfonctionnements, dus à la pression démographique, au surpâturage et à l’urbanisation, ont été amplifiés par les conditions climatiques sévères qu’a connues notre pays durant les deux dernières décennies.
L’état de nos forêts interpelle l’ensemble des composantes de notre société, Etat, collectivités locales, usagers, secteur privé, associations ».
Et malgré cette exploitation effrénée, les produits locaux n’arrivent à couvrir que quelque 26 % des besoins nationaux en bois et autres produits forestiers.
Le reste est importé de France (17 %), de Suède (17%), d’Espagne (13%) et de Brésil (8%). Ce qui pousserait à poser la question suivante : le jeu en vaut-il la chandelle? Pas sûr.

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