Culture

Gratuité culturelle : Un stimulant ou un handicap ?

© D.R

La culture est une «marchandise». Cette invention néo-libérale dénote d’un «mépris profond pour la culture», croient penser les partisans inconditionnels de «l’exception culturelle». «Non, un produit culturel ne saurait être traité sur un pied d’égalité avec une tablette de chocolat», arguent-ils. Certes. La culture n’est pas un digestif, elle s’adresse plutôt à l’esprit, à la raison, au cœur…, qui n’auraient pas de prix. Or voilà, de quoi doit «se nourrir» la culture elle-même ? Ne faut-il pas monnayer la production culturelle ?
Autrement dit, de quoi va vivre la culture dans ce monde où tout a un prix ? Ne faut-il pas rémunérer ces «voleurs de feu» qui font l’effort de réfléchir, de se passionner, d’imaginer, de rêver… et de brûler, à l’image d’un bûcher, pour éclairer le chemin des autres ? Jusqu’où peut-on alors pousser l’ingratitude? Si, pour se procurer une «tablette de chocolat», on est obligé de passer à la caisse, pourquoi hésite-t-on à payer pour voir un spectacle ? Une tablette de chocolat vaut-elle mieux qu’un produit culturel ? Les gens manquent-ils de moyens pour se payer le «luxe» de consommer un produit artistique? «Curieusement, même les plus riches de chez nous refusent de se rendre aux guichets des salles de spectacle. Quand il s’agit d’un spectacle réussi, les téléphones de ces salles ne cessent de recevoir des appels pour avoir des invitations», s’indigne Hassan Nafali, président de la Coalition marocaine pour les arts et la culture. «Il faut annuler les cartons d’invitation et amener les gens à passer à la caisse pour payer un droit d’entrée», ajoute le patron de la Coalition, indigné. Plus indigné est le propos de Taïeb Saddiki. «Quand on sait que les prix pratiqués dans les guichets de nos salles de théâtre, et de cinéma, sont les plus bas au monde, ceux qui ont les moyens et qui refusent de payer ont beaucoup de mépris pour ce que nous faisons», s’insurge le dramaturge. «Dans la plupart des cas, les artistes, et les hommes de culture en général, travaillent et ne sont payés que par les caisses», fait-il constater. Mais ce n’est pas de cette oreille que les clients, – riches ou pauvres , l’entendent. Selon une idée communément admise, la culture serait un produit de luxe. Par conséquent, elle est considérée comme un objet superflu.
Une perception qualifiée, au mieux, d’«erronée», et au pire, de «perverse». M. Nafali ne mâche pas ses mots. «Il s’agit d’une maladie qu’il faut traiter à la racine», diagnostique-t-il. Reste à savoir : Comment? «Annuler les invitations, pratiquer des prix bas, et améliorer la qualité des spectacles», plaide-t-il. Ce sont trois exigences pour installer ce qu’il a appelé «une nouvelle culture». Soit. Mais peut-on situer la problématique uniquement au niveau des consommateurs ? Et les autorités de tutelle dans tout cela ? Ne sont-elles pas appelées également à assumer leur part de responsabilité ? Les avis sont partagés. «La gratuité est permise quand il s’agit de l’argent public», pense l’universitaire hispanophone, Larbi El Harti. «Promouvoir des activités gratuites doit s’inscrire dans l’esprit de génération d’un espace participatif de démocratie», dit-il, sur un ton philosophique. Il ajoute que les autorités de tutelle ont le devoir de participer à l’animation de la vie publique. «C’est une œuvre de salubrité publique», renchérit-il. Il ne faut pas s’étonner que les autorités notamment aient multiplié les festivals ces dernières années, il y a derrière cela une volonté politique : démocratiser la fête en donnant à tous les citoyens, hommes et femmes, riches et pauvres, jeunes et moins jeunes, la possibilité de communiquer, de cohabiter et de s’entendre. Sur ce point, les festivals ont apporté la preuve qu’ils peuvent être un vecteur de promotion des valeurs.
Des milliers de gens peuvent se rencontrer, en l’espace d’un concert, sur une même place pour communier dans l’amour de la musique, sans provoquer le moindre incident. Mais il y a un autre son de cloche. Pour M. Nafali, «l’argent public doit être destiné à l’encouragement de la production artistique, mais pas à l’encouragement de la gratuité de la consommation. C’est l’artiste qui est finalement pénalisé par la gratuité», argue-t-il. Cela dit, il y a des exceptions. «Il faut adopter un système pour permettre une gratuité pour les étudiants, et les enseignants», revendique un lycéen. Un autre évoque plutôt des tarifs préférentiels, dans le cas des étudiants et autres enseignants.
La gratuité s’explique, dans le cas échéant, par un souci simplement pédagogique. Avec les étudiants et les enseignants, les handicapés méritent un traitement de faveur. Au-delà, la gratuité restera un véritable « handicap » pour la promotion culturelle dans notre pays.

Articles similaires

Culture

Dans le cadre de la Journée Internationale du livre : L’IC organise la Semana Cervantina 2024

L’Institut Cervantès de Casablanca célèbre la Semana Cervantina 2024 avec différentes activités...

Culture

Ouverte au public du 18 avril au 6 mai 2024: La Fondation BMCI et la galerie 38 lancent «Vogue»

La BMCI, à travers sa Fondation et en partenariat avec la Galerie...

Culture

«Moroccan badass girl» de Hicham Lasri à l’assaut des salles nationales

Il évoque la pauvreté, le chômage et le désespoir de la jeunesse

Culture

«Disciples Escoffier Maroc» : Un rendez-vous gastronomique à Rabat

Organisé autour de la transmission à travers les femmes

EDITO

Couverture

Nos supplément spéciaux