Culture

Guillaume Jobin: «Lyautey était monarchiste»

© D.R

Guillaume Jobin donne une conférence le 26 septembre 2014 à Marrakech. L’occasion de revenir sur la parution de son ouvrage «Lyautey, le Résident». L’écrivain livre dans cet entretien sa vision  du maréchal et son appréciation sur l’évolution des relations  entre le Maroc et la France.

Vous avez écrit  «Lyautey, le Résident »,  parlez-nous de votre source d’inspiration et de vos motivations à écrire un ouvrage historique sur le Maroc et l’époque coloniale.
 

Guillaume Jobin: Je n’ose dire la raison qui m’a conduit à Lyautey ; parlant avec Marc Wiltz (mon éditeur parisien) de sujets de livres, il m’a proposé d’écrire un ouvrage, avec un regard neuf, sur Lyautey. Je pensais que tout avait été dit, et je freinais devant l’ampleur de la tâche, mais je suis à la source du thème.
En quelques semaines, j’ai vu que tout était à faire pour sortir le vieux Maréchal des vieux clichés. Un seul exemple, oui Lyautey était monarchiste, mais au Maroc et pour le Maroc ; en France, c’est un bon serviteur de la République, snob, élitiste mais fidèle à son pays, comme De Gaulle.

Combien de temps cela vous a-t-il pris pour boucler cet ouvrage ?

J’ai mis à peu près un an à écrire le livre, mais ceci ne tient pas compte des lectures que j’ai faites depuis six ans sur l’Histoire du Maroc. J’écris au fur et à mesure de mes recherches, quitte à changer de point de vue sur une question quand j’ai l’intuition que le sens réel se révèle différent des lieux communs. Je travaille mon livre le matin, quand je me lève, dans le silence, avec une tasse de café.

Comment a été accueilli l’ouvrage dans les milieux littéraires au Maroc et en France ?

Au Maroc, les milieux littéraires ont «consciencieusement » ignoré le livre. Est-ce parce que je suis Français ou que je ne suis pas universitaire ou que je mets les tabous à la trappe ? Mais, heureusement, le public a aimé, de façon croissante d’ailleurs, à l’éloignement de Casablanca. À Benslimane, El Jadida, Tanger ou Harhoura, j’ai fait un « malheur », comme on dit ! En France, je me suis attiré l’agressivité de l’extrême-droite et des milieux catholiques intégristes.

Vous revenez à travers l’histoire sur l’exception marocaine qui a échappé au Printemps arabe, quelles en sont, selon vous, les  principales raisons ?

Au risque de faire de la « géopolitique de comptoir », l’explication est forcément complexe. Le système politique marocain comprend une dimension spirituelle qui permet de sortir de la basse politique et imprègne les citoyens du Royaume, qui savent, de mon point de vue, qu’un pouvoir suprême existe, ici-bas comme haut-dessus. Par ailleurs, les Marocains ont depuis les années 1930 fondé leurs aspirations sur plus de bien-être, sur la famille, pas sur une philosophie théorique ou de l’idéologie. Enfin, le Maroc, s’est toujours singularisé, depuis douze siècles, à ne pas faire comme ses voisins.

Quel apport a eu le Résident général à l’époque du Protectorat?

Lyautey, pour moi, en résumant et en paraphrasant Lénine, « c’est le Makhzen plus l’électricité », il a modernisé le pays, mais surtout il a redonné une assise, à coups de fusil, certes, à la monarchie qui avait souffert du colonialisme rampant au 19e siècle. Les puissances européennes, la France incluse, de 1860 à 1912, ont tout fait pour asservir un des derniers pays indépendants de la planète.

L’ouvrage sort justement à un moment où le Maroc prend des mesures  draconiennes pour déjouer toute tentative d’infiltration terroriste sur son sol.  Un commentaire sur le timing de la sortie de l’ouvrage ?

La date de sortie du livre a été calée sur le Salon du livre de Casablanca, histoire de me donner un coup de fouet ! Je ne suis pas qualifié pour parler du vrai terrorisme, à ne pas confondre avec les luttes de populations victimes d’apartheid. Le terrorisme, ce n’est pour moi que la partie émergée du fanatisme, qui est à combattre par la culture à la base pour le deuxième et par la force pour le premier. Ce que je vois c’est que les préoccupations des Marocains que je fréquente (et pas que dans les beaux quartiers) sont les mêmes que celles des Français ou des Chinois : l’emploi, la famille, la cuisine ; c’est rassurant.

Vous revenez sur un personnage qui a marqué une longue période au Maroc. Les adjectifs que vous lui concédez dans votre livre sont précis et décrivent une personnalité particulière…  

Lyautey, c’est un militaire, mais qui aime construire, c’est un fonctionnaire, mais qui aime l’efficacité, c’est un colonial, mais amoureux du pays dont il a la charge, c’est un progressiste, mais baigné dans la tradition. C’est quelqu’un d’humain pour qui la passion l’emporte sur la raison. C’est un artiste, on lui doit les arcades du centre-ville de Rabat, la Nouvelle médina, mais aussi un esthète qui a réglé chaque détail de la « nécessaire » magnificence de la monarchie marocaine.

Vous êtes président de l’École supérieure de journalisme de Paris et vous avez créé des établissements à Rabat, Alger et Tunis. Quels sont les axes de développement pour créer des synergies entre les différentes écoles ?

Les synergies entre les écoles sont encore faibles et passent toutes par Paris. Néanmoins, nos établissements au Maghreb nous servent de laboratoires à idées pour le développement du groupe, parce qu’elles sont plus petites et donc plus réactives. Si la frontière algéro-marocaine s’ouvre -ou plutôt quand (je suis optimiste)- on pourra croiser les expériences avec les élèves, les amener à tourner, eux et leurs professeurs, dans les différents pays.

Marié à une Marocaine, peut-on dire que le Maroc est votre second pays ? Comment évaluez-vous aujourd’hui l’impact de l’empreinte du Protectorat sur le Maroc ?

J’ai trois pays en réalité, la France, le Maroc et Royal Air Maroc, chez qui je passe beaucoup de temps ! Le Protectorat a marqué les esprits des deux côtés, mais seulement par la période Lyautey, dont l’impact positif de ses treize ans aux commandes l’emporte sur les malheureuses 31 années suivantes, que j’étudie actuellement pour mon deuxième livre qui porte sur Mohammed V et la période de 1925 à 1944. Lyautey a su rendre aux Marocains leur dignité et leur honneur national. Ce qui explique beaucoup de différences entre le Maroc et les pays voisins.

Aujourd’hui, comment peut-on évaluer les relations entre le Maroc et la France surtout après les derniers remaniements ministériels dans l’Hexagone ?

Nous avons tous l’illusion que le Maroc et la France ont vécu une longue histoire de couple. C’est heureusement oublier les années noires du Protectorat, le dahir berbère, Vichy, l’exil du Sultan à Madagascar, les massacres du Résident Lacoste et du chef de la Sureté, Boniface. Les relations ont eu beaucoup de hauts et quelques bas, depuis l’indépendance. La continuité positive est liée à la permanence politique du Maroc, grâce aux trois Rois et aussi à Jacques Chirac. C’est aussi, je le pense intimement, un succès des diplomates, ambassadeurs à Paris ou à Rabat, ce sont des postes majeurs où le travail bilatéral a été fait. Les petits « couacs » récents sont liés à la crise morale que traverse la France.

Biographie

Originaire du Havre en Normandie, Guillaume Jobin entame des études de médecine au départ. Diplômé de l’Université de Rouen en 1984, il renforce sa formation initiale par un master en neuro-psychobiologie en 1985 à l’Université Paris V.

En 1986, il obtient, également, un MBA à HEC Paris. Sa carrière, il l’effectuera dans le domaine bancaire. Et depuis 2006, Guillaume Jobin, 49 ans, est président de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Paris. Il participera aux consultations sur la formation des journalistes, annoncées par Nicolas Sarkozy aux états généraux de la presse. Il est également auteur de 4 livres.
 

 

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