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Hommage : El Hyani, mon ami

© D.R

Il y a 21 ans s’éteignait un monument de la chanson marocaine

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Le 23 octobre 1996 disparaissait l’un des plus grands chanteurs marocains, Mohamed El Hyani, considéré à juste titre comme l’une des plus belles voix du monde arabe. Feu Mohamed El Hyani n’a pas eu le rayonnement que méritait son talent et ce pour la simple raison qu’il était un artiste au vrai sens du terme : bohémien et surtout dilettante, il se désintéressait de la promotion de ses chansons.

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Sa gentillesse légendaire envers ses amis et tous ceux qui l’ont approché, ainsi que sa sollicitude avec sa famille et surtout sa regrettée mère qui le gâtait faisaient de lui un être exceptionnel de tendresse que le souvenir ne fait qu’amplifier. Je me rappelle que le dimanche était pour lui un jour sacré qu’il consacrait  à sa famille pour s’occuper de sa sœur handicapée qu’il faisait manger de sa propre main l’un de ses plats favoris, le tagine d’artichauts aux petits pois.

Ensuite, c’était la promenade entre frère et sœur pour le grand bonheur de cette personne que le destin n’a pas épargnée.

Laissant derrière lui une fille de 12 ans à l’époque et une famille nombreuse dont il était le seul soutien, Feu El Hyani s’est éteint dans l’anonymat total, après avoir lutté contre une maladie pernicieuse qui le minait depuis de longues années. C’est à cette époque que, grâce à la Haute sollicitude royale, il a été admis à l’hôpital Villejuif à Paris. Mais jugeant son état critique, il a été décidé de le rapatrier d’urgence par avion militaire pour être admis à l’hôpital Avicenne à Rabat où, malheureusement, il n’est resté que 20 jours avant de rendre l’âme le mercredi 23 octobre 1996.

La carrière de Mohamed El Hyani a débuté dans les années 60 et particulièrement lors d’une soirée aux arènes de Casablanca, aux côtés de Abdelwahab Doukkali, Abdelhalim Hafez et Sabah. Il s’était fait remarquer immédiatement en interprétant de façon magistrale deux chansons : Kan Mhmoumi et Yawlidi. C’était la découverte d’un artiste hors pair dont le talent s’est confirmé par la suite avec sa célèbre chanson Rahila et Kissat Al Achwak.

Mohamed El Hyani n’était pas un chanteur comme les autres. C’était un artiste dans le vrai sens du terme, car il se donnait corps et âme dans ses chansons et, pour mieux s’imprégner de son art, il a appris le solfège et commença à jouer du luth.

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Au début des années 1980, Mohamed El Hyani a été choisi comme tête d’affiche du long-métrage de Hassan El Moufti «Doumoua Enadam», une production marocaine qui, à l’époque, avait battu tous les records de recettes.

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C’était une voix qui émerveillait à la fois par sa profondeur et sa tendresse. Le succès de ses chansons, dont il a laissé une bonne trentaine, lui valurent la distinction du meilleur chanteur marocain de l’année 1972 ainsi qu’un disque de platine et un autre d’or. Le concours où il obtint cette distinction avait été organisé par la RTM au Palais Tazi à Rabat auprès d’artistes renommés : et c’est en interprétant la célèbre chanson Bard Ou Skhoun composée par le maître Hassan El Kadmiri que le Grand Prix de la chanson marocaine 1972 lui fut décerné.

Immédiatement après cette distinction, les grands compositeurs comme Abdelkader Rachdi, Ahmed El Bidaoui, Changuiti, Wahbi ou encore Abdelâti Amena s’intéressèrent à lui et lui composèrent de beaux succès tels que Men Day Bhak ou Ya Oussada ainsi que de magnifiques chansons patriotiques.

El Hyani demeurera à jamais gravé dans la mémoire des amoureux de la chanson marocaine. Il a pris part à de nombreux festivals, entre autres au festival de Carthage en Tunisie où, en compagnie de Abdelhadi Belkhayat et Abdelhak Skalli, il a émerveillé les milieux artistiques arabes. C’est lors de ce festival qu’il a été décoré par Feu Habib Bourguiba pour sa brillante prestation.

Au début des années 1980, Mohamed El Hyani a été choisi comme tête d’affiche du long-métrage de Hassan El Moufti «Doumoua Enadam», une production marocaine qui, à l’époque, avait battu tous les records de recettes. C’était aux côtés d’une pléiade d’acteurs tels que Hamadi Ammor, Touria Jabrane, Habiba Madkouri et Salaheddine Benmoussa. Dans ce long métrage, il a notamment interprété quatre chansons composées respectivement par Abderrahim Sekkat, Abdelkader Wahbi, Abdelkader Rachdi et Abdelati Amenna.

21 ans après sa mort, les Marocains continuent de lui vouer une véritable tendresse pour sa modestie.

Tout le monde pensait qu’il était d’origine fassie, méprise qu’il aimait à rectifier. Comme son nom l’indique, ses parents sont issus de la tribu des Lahayna près de Skoura, entre Ouarzazate et Kelaat M’gouna. En raison de la sécheresse persistante et chassés par la misère de l’époque, ses parents avaient déserté Boujaad et se transplantèrent à Casablanca. L’Eldorado que les Lhyani espéraient y trouver s’avéra être rapidement un enfer. Mais quand le chef de famille commença à désespérer, il se vit proposer un emploi de gardien de la cartonnerie de Route de Médiouna. Ce n’était pas le paradis, mais ce n’était par l’enfer non plus. En échange de sa vigilance, il avait droit à un toit miteux pour abriter sa famille et un salaire de misère pour la nourrir. El Hyani vivotaient, ce qui ne les empêchait pas de faire des enfants : d’abord une fille, puis un garçon et un deuxième en 1943 qu’on prénomma Mohamed. Le futur mastodonte de la chanson marocaine était souffreteux, triste et peu causant. L’école ne le fit pas se départir de sa nature morose : en outre, il n’y affichait pas un enthousiasme débordant.

Visiblement fâché avec le monde de l’enseignement, il passait son temps à rêvasser, tel l’écolier de Jaques Prévert, jaloux de la liberté dont jouissaient les oiseaux.

Sa sœur aînée, craignant qu’il n’empruntât un mauvais chemin, décida de le prendre en charge. Elle l’installa chez elle à Rabat et l’inscrivit dans un respectable établissement scolaire, mais le résultat ne fut pas très heureux non plus. Décidément, Mohamed n’avait pas la bosse des études et passait son temps à tambouriner sur son pupitre, en fredonnant des airs de Mohamed Abdelwahab, son idole de toujours. Ses enseignants avaient beau user d’arguments pour l’intéresser aux études, rien n’y faisait. Son maître de musique, en revanche, était aux anges : il était ravi d’avoir sous sa baguette un élève aussi appliqué.

Quelques années plus tard, Mohamed El Hyani accéda avec bonheur au conservatoire municipal de Rabat. Il n’ignorait rien des secrets du solfège, possédait plutôt un joli brin de voix et laissait entrevoir un talent certain. Il y passa cinq années, probablement les plus belles de sa vie, pendant lesquelles il affina son don de chant.

En 1964 à sa sortie du conservatoire, il fut engagé sans peine dans la chorale de l’orchestre national. Il s’y distingua tant et si bien que Hamid Ben Brahim lui écrivit la musique d’une tendre chanson «Yawlidi Laaziz». c’était en 1966. La chanson plut ; une étoile est née. Sentant qu’il avait le vent en poupe, il mit le cap vers les rivages égyptiens. Perfectionniste jusqu’à la névrose, il considérait que son heure n’était pas encore venue et qu’il fallait se frotter aux grands pour affiner son don.

Au Caire, il conquit le cœur des maîtres par sa douceur, mais aussi par sa rage d’apprendre et d’approfondir ses connaissances artistiques. Pour s’offrir le gîte et le couvert, il se produisit dans les cabarets de la capitale où il interprétait magistralement les chansons de Mohamed Abdelwahab et Abdelhalim Hafez. Deux ans plus tard, se sentant fin prêt pour l’aventure musicale, il regagna le sol natal. A l’époque, le compositeur Abdessalam Amer qui possédait un « son » à lui, inaltérable, et l’interprète Abdelhadi Belkhayat à la voix merveilleusement modulable, formaient un duo brillantissime. Mais au moment où le premier songeait à composer pour le second la célèbre chanson «Rahila», celui-ci se désista : il ne tolérait plus la tutelle du sublime compositeur aveugle et entendait voler de ses propres ailes. Abdessalam Amer, ulcéré par cette félonie, se tourna alors vers El Hyani.

Deux ans plus tard, le public découvrira avec émerveillement une perle de la meilleure eau.

Fruit de l’un des plus beaux ménages de la chanson marocaine : Abderrafii Jouahri-Abdessalam Amer-Mohamed El Hyani. Ce dernier n’aurait jamais rêvé d’un meilleur départ : il avait mis ses tripes et sa sueur, mais aussi ses larmes dans Rahila. Il était devenu le chanteur-idole des Marocains mais aussi de Feu Sa Majesté Hassan II que Dieu ait son âme, auprès duquel il jouissait d’une affection particulière. D’ailleurs la famille du chanteur conserve religieusement encore aujourd’hui un élégant costume que le Roi Hassan II lui avait offert.

Le Souverain aurait bien souhaité le confronter avec Abdelhaim Hafez dans des juntes musicales, raconte-t-on.

Un jour, en sortant du Palais royal, El Hyani se fit renverser par un taxi collectif qu’il tentait d’intercepter : plus de peur que de mal, mais on le transporta à l’hôpital. Mis au courant de la mésaventure de Hyani, le Roi s’étonna qu’un chanteur de cet acabit ne possédât pas une voiture. Quelque temps après, il lui fit don d’une Triumph verte.

Malgré sa gloire ascendante, El Hyani ne s’était jamais départi de son humilité, encore moins de sa mélancolie. à croire que l’homme n’était pas doué pour le bonheur : ses fêlures, ses blessures, son insondable désespérance se devinaient dans sa manière de chanter : il était un chanteur épidermique qui ne demandait qu’à aimer pour peu qu’il découvrît l’âme sœur. Mais ce que la vie donne d’une main, elle le reprend de l’autre : il eut la célébrité mais il n’eut pas sa part d’amour. C’est sans doute pour cela qu’il se laissa mourir des suites d’une bénigne maladie du côlon.

C’était dans la nuit du 22 au 23 octobre 1996.

Il s’est éteint en laissant un répertoire impressionnant et un palmarès plus qu’honorable.

Par Larbi Sbai Elosdi

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