Culture

Ibn Battuta ou l’unité d’un monde

C’est l’un des voyageurs les plus fabuleux de tous les temps. Pourtant, les occidentaux n’ont pas toujours été justes avec lui. Ils citent souvent Marco Polo ou l’Anglais qui a donné son nom à une agence de voyage, mais oublient que Ibn Battuta, le Marocain, a écumé terre et mer pendant 30 ans. Il a parcouru plus de 120 000 km pour visiter des pays aussi divers que l’Inde, l’Egypte, le Yémen, l’Afghanistan, la Chine, les Maldives ou l’Afrique orientale. Rien ne destinait pourtant ce Tangérois, né en 1304, à devenir le grand voyageur que l’on connaît. Son premier périple, il l’entreprend à l’âge de 22 ans en direction de la Mecque. Est-ce du goût laissé par ce premier voyage que va naître la vocation de l’intéressé pour l’aventure ? On ne le sait pas. Mais toujours est-il que ce premier déplacement pour des fins religieuses sera suivi par d’autres. Ibn Battuta en entreprend un deuxième, puis un troisième et ainsi de suite jusqu’à ne plus revenir dans sa ville natale que lors de très rares occasions. Avant de mourir à Tanger, peut-être en 1369 – la date de sa mort étant peu sûre – le voyageur a donné le récit de ses fabuleux voyages.
Le titre exact du récit est « Cadeau précieux pour ceux qui considèrent les choses étranges des grandes villes et les merveilles des voyages », mais il est plus connu sous le nom de la Rihla. Le manuscrit original est déposé à la Bibliothèque Nationale de Paris. Contrairement à ce que l’on peut penser, Ibn Battuta ne tenait pas un journal de voyage. Il n’a pas noté à chaud ce dont ses yeux se sont émerveillés pendant ses déplacements. Il n’a même pas nourri le projet de mettre noir sur blanc ce qu’il a vu. Tout est sorti a posteriori de la mémoire du voyageur. La chose est étonnante, extraordinaire, compte tenu des détails descriptifs – très nombreux dans la Rihla. La précision est si impeccable qu’on a du mal à croire que Ibn Battuta a dicté les périples de son voyage après le neuvième et dernier périple qui l’a conduit vers le Sahara et les pays du Niger. On ne trouve pas la trace du doute ou de l’alternative dans le récit de l’intéressé.
Les traces géographiques de son errance ne se retrouvent pas dans le récit qu’il en a fait. Pourtant Ibn Battuta aurait pu mourir sans rien laisser n’était l’injonction du souverain mérinide, Abu Inan. Le voyageur dicte sa Rihla à un lettré, Ibn Djuzayy, désigné par le sultan. Un écrivain a donc transcrit le récit du voyageur. L’on ne saura pas quels ingrédients il a ajouté au récit pour en faire un livre à la fois étonnant et délectable qui dispense un plaisir littéraire à la lecture.
Mais il paraît peu probable que l’intervention du transcripteur l’ait haussé au rang de co-auteur. Et pour preuve, le travail de la mémoire agit sur la forme du récit. L’oeil mnémotechnique du voyageur privilégie les vues d’ensemble. Le foisonnement des détails favorise, comme dans un tableau d’un maître flamand, l’unité d’un espace qui se joue du temps. Difficile de savoir quel jour Ibn Battuta a vu «les Noirs utiliser le sel dans le commerce comme l’or ou l’argent» et quel autre il a décrit l’empire du Mali. C’est de la saisie globale des détails d’une géographie large qu’il est question. Cette saisie d’une géographie florissante pour l’islam a coïncidé avec le déclin de cette civilisation. Les personnes hors-pair apparaissent peut-être au crépuscule des grandes civilisations.
C’est le chant ultime du cygne avant que le rideau ne tombe. Ibn Battuta a peut-être restitué dans son récit l’unité d’un monde en décomposition. La géographie console du traumatisme provoqué par l’invasion turco-mongole. L’ancien empire de Bagdad faisait désormais partie du « il était une fois » légendaire. Il n’y avait plus de quoi s’enorgueillir d’appartenir au monde musulman, à l’exception peut-être de la géographie la plus vaste sur terre et de quelques hommes d’exception. Le hasard aura voulu qu’un autre Maghrébin hors-pair soit le contemporain du voyageur : Ibn Khaldoun.

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