Culture

Il était une fois le Maghreb

Leurs noms, et jusqu’à leurs appellations, ne pouvaient être cités sans qu’ils ne renvoient à ce grand Maghreb du début du siècle, à cette Afrique du Nord qui faisait partie de cet Orient aux mille parfums et autant de mystères et de charmes.
Nés pour leur totalité en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, ils se sentaient au carrefour de deux sources de confluences. A eux seuls, ils incarnaient ce que le métissage culturel, voire identitaire, avait de plus magique. Une magie et un art dont ils étaient, parfois sans même le vouloir, les porte-drapeaux. Ils s’appellent Enrico Macias, Albert Camus, Guy Bedos, Jean Benguigui, Roger Hanain, Pierre Benicho…Ils étaient écrivains, poètes, chanteurs, comédiens, artistes-peintres. Trait commun, ils ont tous été bénis par le karma d’être nés ailleurs qu’en France, pays dont leurs parents sont issus. Une naissance qui détermine tout une sensibilité, toute une culture, toute une vie. A tel point que même plus tard, chacun d’entre eux, et comme investi d’une mission sacrée, chantait ce Maghreb, sous occupation française, aux multiples particularités. Combien de fois n’a-t-on pas entendu chanter cette blancheur éclatante d’Alger, ses remparts, ses femmes drapées de voiles blancs et qui ne laissent échapper qu’un regard fatal ? Combien de fois n’a-t-on pas été confrontés à ces paysages dépaysant d’un Maroc lointain et dont le reflet renvoie plus à cet Orient des mille et une nuits qu’à la réalité. Combien de fois un air, un ya lil et un lay lay lalay n’a traversé une chanson d’un artiste parisien pur et dur mais qui garde ce lourd bagage d’une enfance passée dans une ruelle de Tunis.
Et que reste-t-il de tout cela ? Le patrimoine est riche, diversifié, ineffaçable, mais il n’en est pas moins en voie de perdre de sa validité. Et pour cause, le Maghreb décrit par cette véritable pléiade d’artistes « pieds-noirs » n’est plus. La blancheur d’Alger n’est plus aussi éclatante qu’elle l’était dans le temps. Les ruelles des Médinas du Maroc ne respirent plus les parfums et odeurs des épices. Les femmes de Tunis ont depuis longtemps troqué leurs haïks contre ce que le prêt-à-porter européen a de mieux à offrir. Les choses ont changé, au mieux comme au pire. Et avec ce changement, la nostalgie évoquée dans l’infinité d’oeuvres consacrées au Maghreb perd de son actualité, de sa valeur de mémoire. Une nostalgie qui n’est plus que le reflet d’un imaginaire construit autour de cette partie de l’Orient et sur la base de la simple idée que l’on se faisait de ce qu’était le Maghreb des années 1920 à 1950. Une idée à laquelle le public ne s’identifie plus. Les succès d’antan, ceux qui drainaient des foules entières, avides de partager des sensations parfois vécues, souvent imaginées ne sont désormais que des douçâtres mélodies et images qui relèvent plus du folklore et d’un certain orientalisme, une certaine perception du pays et de la population colonisés. Ceux qui jadis étaient les représentants en France de la culture maghrébine, trait d’union entre les deux rives de la Méditerranée et incarnation d’expériences aussi inédites qu’édifiantes en matière de métissage culturel ont dû céder le pas devant la déferlante de ceux qui ont pris le relais. Ils ne s’appellent pas Enrico mais Khaled, pas Guy mais Gad. Les douces mélodies du oud ont été substituées par les électrochocs du Raï&B. Les plaidoyers d’Albert Camus s’échangent contre les écrits d’une nouvelle génération d’artistes, pas aussi talentueux, mais dont l’oeuvre a au moins le mérite de faire en sorte que le Maghreb reste présent dans la littérature française.
Restera qu’à une époque où la création artistique et culturelle, dans son appréciation moderne, n’existait pas encore, ils auront été les témoins de toute une ère. Des témoins qui nous ont livré un Maghreb de beauté et de charme. Ils ont sublimé une réalité bien plus complexe, avec, déjà à cette période, ses contradictions, naviguant entre deux modèles de vie, de gouvernance et deux perceptions de l’avenir, ses luttes pour la libération et l’indépendance, et ses idéaux et valeurs. Ils n’auront gardé que l’essence d’une différence entre deux cultures, celle de l’Occident et de l’Orient. Mais ils nous auront prouvé que la conciliation entre les deux étaient possible. Que le résultat d’un savant mélange pouvait aboutir à quelque chose d’autre que la confrontation : l’amour, la paix et le dialogue. L’Histoire leur reconnaîtra leur rôle dans le rapprochement des peuples. Dans bien de cas, pour un prix Nobel de la trempe d’Albert Camus comme pour un Macias consacré chanteur de la paix par l’ONU. Leurs vies valaient la peine d’être vécues, leurs oeuvres méritent reconnaissance. Et comme l’a dit Lotfi Akalay dans les Nuits d’Azed, par la voix d’une étrangère que le Maroc continue d’émerveiller, « la saleté s’en ira. Les parfums resteront ».

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