Culture

J.Goytisolo : Un regard bleu à Jamaa al Fna

© D.R

A travers le regard bleu et intense de Juan Goytisolo se décèle une partie importante de la mémoire du XXème siècle et le début du XXIème. Ce bleu tendre s’érige comme le miroir d’une époque boueuse, où circulent la mort de sa mère tuée par les bombes d’une guerre fratricide, la sévérité asphyxiante de la dictature, l´exil imposé par une situation humaine insoutenable et la déception idéologique face à la dérive du communisme. Et surtout, il est le témoin d´un demi-siècle de la vie morale, politique et intellectuelle de l’Occident.
Fidèle à ses convictions courageuses, malgré la banalisation de l’esprit, il perce avec une lucidité rare les grands thèmes de notre époque : les transvasements des cultures, l’hybridité des langues et les migrations. Il est là pour nous prévenir de l’existence des problèmes qu’aucune théâtralisation néolibérale ne peut arrêter. Juan Goytisolo est l’un des acteurs militants de l’avant-garde du roman contemporain. Il puisse sa démarche de son métissage. Il est certes espagnol, mais pour lui, écrire en cette langue, c’est s’approprier l’esprit de Cervantès. Moyennant ce souffle intellectuel, il islamise et judaïse l’imaginaire créateur hispanophone. Son écriture est le théâtre d’une mémoire universelle anhistorique. Son oeuvre se structure autour de trois étapes.
La première représente le résultat du regard d’un naturaliste espagnol habitant Paris, qui retrace une humanité dégradée par la misère et l’injustice. La deuxième est une étape durant laquelle l’exil volontaire devient une littérature de voyage et de politique. Elle permet à l’auteur de se positionner face à l’idéologie.
La dernière se définit comme étant celle du déracinement. Littérairement, elle se concrétise dans son roman Juan sin tierra (1975). Ce fut à partir de cette fiction que l’auteur et le narrateur ne constituent qu’un. Ils se confondent dans la quête d’un espace plus en harmonie avec l’esprit errant de Goytisolo. L’Occident ne répond plus à ses désirs et à sa vitalité inquiète et dynamique. Il trouve alors refuge pour sa littérature et son mode de vie dans les pays musulmans, en particulier, au Maroc. Marrakech constitue son locus amoenus et fut la source de son roman Makbara (1980), où l´Espagne cesse d´être le centre de ses obsessions et dans lequel il donne parole à un conteur marrakchi pour mettre en miettes les mythes de la société de consommation. A partir de Tanger, Goytisolo commence une agression mythoclaste contre une Espagne séquestrée par le franquisme, qui l’amènera à la démystification d’une langue honnie, et fait de lui un Juan sans langue. Cet état d´esprit s´assume grâce à l´usage de plusieurs langues, utilisant leurs graphies sans les traduire. Le corps du roman goytisolien devient un espace de rencontre de signes et de cultures différentes, unifiés par un sens métissé. C’est l’époque de Pièces d’identités (1966), Don Julian (1970) et Juan sans terre (1975), qui se termine par un texte écrit en arabe et dont le lecteur espagnol ne peut saisir la signification. C’est une stratégie de la part du narrateur ayant pour fin de mobiliser ceux qui sont attirés par le voyage de le suivre. Le fragment dit: Qui m´aime me suive. Je suis passé de l´autre côté, avec ceux qui manient le couteau. Le paria qui a abandonné son Occident riche se confond dans le désir d´une littérature aussi hyperbolique que la marginalité. Il y a là une invitation dont l´objectif est d´accompagner ceux qui le suivent (et qui l’aiment) au monde glissant de plurilinguisme et de la multiculturalité. Pour en déchiffrer le sens, ils seront obligés d´apprendre l’arabe. Ce texte énigmatique par méconnaissance de son code, ne cache qu´un message d´amour et la volonté d´une gageure déridée. Le chemin pour atteindre sa substance impliquerait un voyage vers l´autre et à la fois vers soi-même. C´est un voyage de reconnaissance hétérodoxe et iconoclaste d´une humanité sans nationalité et sans credo. L’oeuvre de Juan Goytisolo est marquée par une volonté tenace de restituer à la culture arabe sa part légitime dans la formation du paysage historique et culturel de l’Espagne et de l’Europe. Sa critique constante envers lui-même, envers son écriture, envers son pays, sa résistance culturelle contre les dictatures, sa solidarité avec les peuples africains et arabo-musulmans, son identification au combat du peuple palestinien et bosniaque, son voyage en Tchétchénie, sa dénonciation des dangers suscités par les nationalismes montants et de la xénophobie, remettent à l’honneur la noble tradition de l’engagement intellectuel et témoignent d’une générosité sans bornes.
L’Institut Cervantès de Rabat et le Département de langue et littérature espagnole de la faculté de lettres lui rendent hommage.
La rencontre avec ce Catalan universel aura lieu le mardi 5 octobre 2004 à 16 heures à la salle polyvalente du siège central de la faculté de lettres de Rabat. Au débat avec l’écrivain, prendront part le romancier et actuel ambassadeur d’Espagne à l’UNESCO, José Maria Ridao, l’essayiste Abdelfettah Kilito, le professeur Ahmed Ararou et le traducteur Brahim Khatib. Le débat sera suivi de la présentation de la série télévisée Al-Quibla. Une série de treize reportages écrits et réalisés par Juan Goytisolo et filmés dans dix différents pays musulmans. Six de ces reportages seront projetés et commentés par l´auteur.

• Par Larbi El Harti.

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