Culture

La chambre noire ou le nécessaire retour

Les années de plomb refont de nouveau parler d’eux. Cette fois, dans le dernier film de Hassan Benjelloun, «La Chambre noire ». L’histoire tirée de faits réels est inspirée du livre éponyme de Jaouad Mdidech.
Ce film de 112 minutes raconte l’histoire des enlèvements et des tortures qui se sont déroulées durant les années 70. Des jeunes étudiants militants, qui faisaient partie soit du mouvement du 23 mars ou de celui d’Ila Al Amam, ont été kidnappés, interrogés et torturés pour leurs idées révolutionnaires. Leurs aspirations à une vie meilleure se sont transformées en un véritable cauchemar. Kamal Moudadich, le héros du film interprété par Mohammed Nadif était lui aussi à un moment de sa vie un étudiant marxiste léniniste. Son passé va lui coûter cher. Cette étiquette de marxiste léniniste va lui coller à la peau et les services secrets n’hésiteront pas à lui tourner autour jusqu’à lui mener la vie dure. Alors qu’il bâtissait des projets ambitieux pour son avenir et celui de Najat, sa future fiancée dont il est follement amoureux, la police secrète va l’enlever.
Sa vie va se transformer en un véritable enfer. Sa rupture annoncée dix mois plutôt avec Ila Al Amam ne va nullement lui épargner le sort macabre que les « services » lui réservaient. Ses tortionnaires useront de toutes les méthodes de tortures et de manipulations pour qu’il dénonce d’autres personnes. Chose à laquelle Kamal se refusera. C’est un homme d’honneur. Le verdict sera lourd : il écopera de 21 ans de prison en l’absence de preuves. Il sacrifiera sa vie, celle de Najat ainsi que celle de toute sa famille.
On l’aura compris, le film relate donc une période noire de l’Histoire contemporaine du Maroc. Une période jalonnée par plusieurs formes d’injustice et de pratiques pour le moins contraires aux droits de l’Homme. «La Chambre noire» intervient dans ce sens pour nous rappeller l’absurdité de l’arbitraire qui régnait à l’époque. Le film de Hassan Benjelloun est réaliste, mais il n’est pas né sans peine. Le cinéaste a rencontré plusieurs difficultés d’ordre financier. Le coût du film était estimé au départ à dix millions de dirhams, mais il fallait se résoudre à revoir cette somme à la baisse, plus précisément à cinq millions de dirhams seulement. Le Fonds de soutien à la production cinématographique du CCM n’a accordé au réalisateur que deux millions de dirhams. Hassan Benjelloun a dû faire des mains et des pieds pour mener à bien son projet de film. Il a finalement réussi à avoir, entre autres, le soutien des Fonds francophones à la production audiovisuelle. A cela s’ajoutent bien d’autres sources d’embarras. Le réalisateur cite notamment les contraintes scénographiques qu’a impliquées « La Chambre noire ». « Le film a nécessité d’énormes efforts quant à la scénographie, et pour la confection des costumes. Il fallait être fidèle aux comportements vestimentaires de l’époque. C’est un détail important. Les décors étaient aussi difficiles à réaliser, car ça demande beaucoup d’argent », précise Hassan Benjelloun, qui compte à son actif six lonf-métrages.
Pour ce qui est des prestations des acteurs, personne ne saurait être indifférent au rôle de Hajja Habiba la maman de Kamal, interprété par l’actrice Souâd Saber. Elle traduit la souffrance des mères devant ces disparitions forcées. Un calvaire qu’accentue l’absence d’explications plausibles. Ce film se veut d’ailleurs un hommage à toutes ces mamans meurtries, celles qui ont passé des moments de tristesse et d’amertume. Deux autres rôles ne passent pas inaperçus, ceux des deux gardiens de Derb Moulay Cherif, joués respectivement par Mustapha Yadine et Abdelatif Chagra. Ils traduisent d’une part la méchanceté gratuite et l’absence de pitié des geôliers. De véritables sans-coeurs qui de plus sont insolents. Ils se croient tout permis et n’ont pas de limites, ils n’hésitent pas à traiter les détenus de tous les noms, et à exercer toutes les formes d’agressions, physiques et morales, sur eux. Une séquence du film, la plus choquante mais aussi la plus «drôle», en traduit bien la nature. Les paroles des deux geôliers sont empreintes d’un cynisme sans pareil. D’ailleurs, l’un deux est nommé El haj. Quand les détenus discutent entre eux, El Haj fait semblant de faire sa prière. En réalité, il écoute tout ce qui se dit, il les espionne. On pourrait penser que Hassan Benjelloun fait de la satire sociale. Une façon de s’éloigner de la monotonie des faits aussi cruels que servis crus.
Une manière aussi d’exorciser les vieux démons d’un passé douloureux. Ceci, dans le contexte actuel où le temps est à la réconciliation. Un rôle qui revient l’instance Equité et réconciliation. La Chambre noire, serait-elle dans cette dynamique le bout du tunnel?

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