Culture

La part réservée

La litote. C’est une figure de style consistant à diminuer une chose en vue de lui donner plus d’énergie et de poids. Elle édulcore l’affirmation positive mais sans entamer sa teneur sémantique. C’est l’art de paraître affaiblir par l’expression une pensée qu’on veut exprimer avec force. On dit moins qu’on ne pense pour attirer l’attention sur le non-dit. C’est une figure à laquelle recourent les rhétoriciens.
Le livre entier de Fatna El Bouih participe de la litote. Ce n’est pas un artifice de la part de son auteur, mais une volonté de ne pas gicler dans toute son intensité la dureté de l’épreuve qu’elle a vécue. Elle décrit la réalité, mais comme à travers un abat-jour qui adoucit l’intensité d’une lumière éclatante. El Bouih a pris le parti de dire le moins et de se réserver une part de son vécu. Ce qu’elle révèle dans « Une femme, nommée Rachid » est un témoignage. Le témoignage d’une femme arrêtée pendant les années 70 et qui a passé près de 7 ans dans les prisons marocaines.
Son témoignage s’ouvre sur « le soleil. Le ciel. L’eau. L’air ». Tout ce qui lui a manqué, lorsqu’elle était maintenue dans l’ombre. Le lyrisme des premières pages est à l’unisson du bonheur de recouvrer la liberté. Il n’est pas futile de relever le désir formulé par l’intéressée d’aller au hammam, aussitôt qu’elle a été libérée. La portée symbolique de cet acte n’échappe à personne. Il faut se purifier le corps. La purification de l’esprit viendra par la suite. Elle prend la forme d’une livre-témoignage. Fatna El Bouih est arrêtée alors qu’elle est encore lycéenne.
Comme nombre de personnes à cet âge, elle rêve d’un avenir meilleur pour son pays. Son arrestation est si irréaliste qu’elle lui rappelle un épisode des « Mille et une nuits ». En fait, en guise de merveilleux, c’est à un cauchemar que El Bouih sera confrontée. La seule parenté de ce qu’elle a vécu avec le monde des « Mille et une nuits » consiste en son travestissement forcé en homme. Rachid n° 45 est le nom qui lui sera effectivement attribué au Centre de détention de Derb Moulay Chérif. C’est également le titre du livre. Fatna El Bouih a subi un interrogatoire musclé dans ce centre. Elle n’est pas prolixe sur les circonstances de sa torture. Mais le peu qu’elle dit suggère amplement ce qu’elle a enduré. Ainsi cette pratique dite l’avion « qui au lieu de t’élever au ciel t’abaisse plus bas que terre ». Fatna El Bouih va rester près de 7 mois en détention clandestine à Derb Moulay Chérif avant d’être jugée. Elle sera transférée par la suite à la prison de Ghbila, puis à Meknès, à El Alou (Rabat) et enfin à Kénitra. La vie dans la détention, l’organisation dans la détention. La détermination, seule arme pour rester digne. La solidarité dans la détention. Le temps passé à la lecture et aux débats. Le temps passé aux corvées ménagères.
Tout cela constitue le quotidien de cette femme et fournit la matière de son livre. Fatna El Bouih apparaît dans son livre comme une personne généreuse et très courageuse. Elle n’est pas insensible aux « droit commun » maltraitées, humiliées par des punitions extrêmes. Sa révolte s’exprime par moments avec des mots violents. Ainsi à l’encontre de certaines gardiennes. « Je suis obsédée par l’image de cette gardienne : surveillante oui ; éducatrice, tu parles ! La plupart, sinon toutes, sont dominatrices, rapaces, à l’affût de ce qu’elles pourront rafler du panier des détenues. Une institution aussi hideuse, « une maison de correction » ? Elle devrait commencer par corriger celles-là ».
Le plus curieux dans son livre : il suggère que c’est à l’intérieur de la prison que Fatna El Bouih va devenir une vraie militante. Une militante sans rancoeur, sans haine. Son livre est un témoignage sur une période qui fait maintenant partie du passé. Son récit porte l’espoir que c’est fini !

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