Culture

La peinture de l’absent

C’est un séjour fécond. Un peintre bénéficie d’une bourse à la Cité Internationale des Arts à Paris, en 1998, et abat tant de boulot que cela donne le vertige. Il est possédé par la peinture. Il peint tant et si bien qu’il vient à bout de sa réserve de toiles. Sa frénésie de peindre est inextinguible. Il lui faut un support, n’importe lequel pour y apposer des couleurs et continuer encore de peindre. Il trouve une énorme pile de papiers qui menace de finir dans quelque dépotoir.
Des papiers remplis de phrases dactylographiées. À défaut d’une toile, Bouchta El Hayani se déchaîne sur des polycopiés. En vrai plasticien, il accepte l’aventure du hasard et exploite toutes les voies que lui découvrent des mots administratifs. Il encadre quelques-uns, souligne d’autres. Les caractères de l’alphabet deviennent une composante de sa peinture. C’est de cette période que datent ses peintures exposées à Rabat. « Ce que j’ai peint en six mois à Paris, je suis incapable de le réaliser ici en trois ans », dit le peintre. Il n’a pas toutefois choisi de montrer les tableaux où les signes de l’alphabet se muent en figures plastiques, mais deux formes pyramidales déchirées par une fissure.
Deux promontoires avec un ravin. Deux triangles à la géométrie pure qui suggèrent un ordre harmonieux, logique, mais qui possèdent en même temps, comme la tare d’un péché originel, la goutte de poison, le brin d’incohérence, la fêlure qui fait grincer tout le système. Cette cassure surgit probablement de la mémoire active de l’intéressé. Il faut garder à l’esprit que tous les tableaux ont été peints à Paris, loin de la compagnie à laquelle il était habitué. Les tableaux ont été réalisés dans un isolement, une privation peut-être, et c’est ce qui en explique l’apparent érotisme. Cet érotisme, imprimé dans nombre des oeuvres de Bouchta El Hayani, n’est pas franchement frontal. Le peintre a gardé la juste distance, celle de la pudeur peut-être, pour suggérer et non pas dévoiler. Si l’on veut trouver des traces d’un corps à corps, c’est dans sa peinture qu’il faut les chercher. Du point de vue de la facture, la peinture de Bouchta El Hayani est tellurienne, sa texture et ses couleurs sont sous-tendues par des puissances chtoniennes. Des quatre éléments, la terre est ce qui caractérise le mieux le peintre.
Cette terre où certains possédés se convulsent pour faire un seul bloc avec la matière. Les personnes qui ont déjà vu Bouchta El Hayani peindre savent que c’est un artiste habité. Il entretient un rapport très physique avec la peinture. L’acte de peindre obéit à un petit rituel de préparation. Cet artiste met en effet une blouse avant d’engager une partie avec son art. La peinture participe pour lui de la lutte.
Le peintre est en sueur. Ses mains se substituent souvent aux pinceaux lorsque la médiation d’un outil interpose un écran qui réduirait l’intensité du contact direct. C’est d’une rude empoignade qu’il est question, et ce contact tactile imprimé sur la toile dispense une grande richesse visuelle. Quant au témoin de cette partie, il en conclut que l’acte de peindre relève de la possession pour El Hayani. Ce dernier est entièrement dévoué à une partie qui le met en dehors de tout ce qui ne se passe pas entre la peinture et lui. Il ignore souverainement son spectateur. Cela est d’autant plus surprenant que ce peintre, né en 1952, est d’une affabilité exquise en société. Jamais un mot méchant, jamais une remarque à la pointe sèche sur l’un de ses confrères.
Sa méchanceté, sa hargne et sa vigueur, il es consacre à son art. Personne ne peut lui reprocher cela. Mais le fait est que tous les tableaux qu’il expose aujourd’hui remontent à son séjour à Paris. Ils sont nés de la mémoire active, impulsés par un objet absent. Cette absence a fécondé des formes et des figurines qui enchantent nos yeux et notre esprit. Aujourd’hui, il est peut-être temps de faire une infidélité à cet objet absent-présent pour s’engager dans une nouvelle aventure plastique.

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