Culture

La poésie à corps et à cri

Quel rythme ! La première chose qui tient, empoigne et fait respirer suivant le souffle d’une poésie, tantôt en vers, tantôt en prose est un rythme déchaîné, ininterrompu, saccadé, rapide, fou. Un élan sans fin. Une vague qui déferle, se brise sans cesser de rouler sur elle-même. Sans échouer nulle part. Une chevauchée fougueuse qui emporte le lecteur à travers des déflagrations de sens. Jamais jusque-là, le poète Mohamed Loakira n’avait mis son coeur à nu comme il l’a fait dans « N’Etre ». Jamais auparavant ce poète n’avait été aussi intransigeant, voire dur, avec la même intensité qu’ici. Il n’a pas trempé le bout de son pied dans les eaux de la poésie, mais y a plongé, en entier, pour ne rien cacher au lecteur de ce qui le tourmente et de l’objet d’une quête amoureuse qui va l’entraîner vers une aventure du langage et de la mémoire. Une aventure où sont inscrites, en caractères invisibles, ces interrogations : «Qui suis-je ? Que cherche-je ? Où vis-je ? Et qu’est-ce qui donne un sens à ma vie ?» Cela commence par l’aimée. Une aimée si brûlante que le poète ne peut parler d’entrée de jeu d’elle en utilisant le “je” poétique. Il commence par établir une distance pour l’approcher, d’abord, par le biais de la troisième personne du singulier. “Il” remplace le “je”, “elle” le “tu”. Après Cette approche très surprenante, par ce qu’il est très rare qu’un poète renonce au “je” lorsqu’il écrit, Mohamed Loakira revêt le “je” et s’adresse à elle par “tu”.
La première chose qui touche dans cette poésie, c’est que le moi du poète n’est pas valorisé. Le poète ne cherche pas à brosser un portrait avantageux de lui. Il se dépeint avec ses disgrâces : « Tes mains, au lieu de caresser ma calvitie,/ s’attardent à dérouler la pelote de laine./ D’ailleurs jaunie sur les bords…». Il ne cache pas non plus son égarement devant l’assurance souveraine de celle qui l’apostrophe : «sois insolent». De l’insolence, il faut attendre que le poète s’engage dans une traversée existentielle qu’il en ait. Au début, il est surtout question de tendresse.
À l’instar de cette chanson que les mamans adressent à leurs bébés pour appesantir leurs paupières, et que le poète détourne de son usage premier pour la fredonner à son aimée : «Dors Dors Bébé/ Jusqu’à ce que soit prêt/ Le souper/ Et si notre souper/ N’est pas prêt/ Celui des voisins/ Le sera/ Dors Dors Bébé». Cette chanson place le poète entre deux âges, deux fonctions. L’adulte protecteur qui veille sur celle qu’il aime, mais aussi le bébé qui vit dans l’adulte et que le poète invoque pour apaiser le tumulte de contradictions qu’il ressent en présence de celle qu’il cherche à endormir. C’est d’ailleurs le recueil entier qui est traversé par des alliances de sens contradictoires.
À commencer par le titre qui est un oxymoron. «N’Etre» se transcrit phonétiquement de la même manière que le verbe naître. Graphiquement, il s’appréhende comme une négation de l’être. Il s’agit donc de naître et de ne pas être. Cesser d’être pour renaître à la vie ? Déterger l’être de tout ce qui le surcharge pour une nouvelle naissance ? C’est possible, d’autant plus que le poète va s’engager dans une folle chevauchée qui ressemble à un voyage non pas initiatique mais de liquidation.
Ce voyage à «la recherche du probable endroit où je bâtirai ma dernière résidence» le ramène à la femme du début. Est-il revenu mieux aguerri après son voyage ? En tout cas plus déterminé, et sachant désormais que la valeur à laquelle il va s’agripper de toutes ses forces est l’amour. Il est aussi revenu plus audacieux dans son langage. Est-ce cela le sens de la naissance que cherchait le poète ? Une naissance qui semble en tout cas liée à la femme et à l’écriture. Le reste est sans intérêt. À l’image de ces deux vers extraits des dernières pages du recueil : « Et le grain de beauté sur le front droit/ qui change le cours de l’alphabet ». N’est-ce pas beau ?

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