Culture

La «révolution» Lamalif racontée par Zakya Daoud

© D.R

ALM : Pourquoi aujourd’hui un livre sur les années Lamalif ?
Zakya Daoud : On m’a demandé ce livre pour que les jeunes générations soient au courant de l’aventure Lamalif. Je suis en mesure de le faire aujourd’hui. Que l’on se rassure : je témoigne sans acrimonie. Le temps ayant fait son œuvre, j’ai pensé être guérie, la distance enfin installée et la possibilité de raconter cette histoire s’est imposée comme une nécessité. J’ai cherché des témoins qui puissent m’apporter l’indispensable recul. Je ne les ai pas trouvés. Chacun a pris sa voie, chacun a ses occupations. Beaucoup tentent de regarder vers l’avenir et non vers un passé, jusqu’il y a peu, encore gênant. Donc, il me fallait faire ce travail moi-même. Je n’avais pas d’autre choix que de prendre le biais du vécu, de l’entrecroiser avec l’histoire du Maroc suivie au jour le jour pendant trente ans, de 1958 à 1988, qui traverse justement les années de plomb, et avec l’évolution de Lamalif, pour retracer l’histoire de la revue disparue, en même temps que toujours si présente. L’idée était donc de croiser trois données, l’histoire au quotidien, qui présente, peut-être, l’intérêt de montrer comment des gens ordinaires ont vécu, au jour le jour, ces fameuses années de plomb, les comptes-rendus mensuels de cette histoire dans une revue qui vivait les aléas de la censure et de l’autocensure, et quelques souvenirs personnels pour donner de la chair à cet ensemble.

Lamalif a-t-elle vraiment été interdite de parution en 1988 ?
J’ai été convoquée, on m’a menacée. On m’a dit que votre revue vendait trop, qu’il fallait réduire le tirage … On a alors jugé impossible de continuer dans ces conditions. Et je suis partie à Paris, pour prendre du recul, un peu de distance. C’est ainsi que, d’un coup, je me suis retrouvée dépossédée de ce qui avait fait pendant trente ans la trame de ma vie, le Maroc, le journalisme, la revue Lamalif, et ma propre vie d’individu, au sein d’une famille, violée par le vol de mes cahiers personnels.

Qu’avez-vous retenu des années Lamalif ?
C’était difficile de faire du journalisme à cette époque, mais c’était enrichissant sur le plan intellectuel. C’était ma vie. 22 ans de ma vie. J’ai fait un métier passionnant que j’ai exercé et aimé. J’ai connu des gens remarquables ou qui m’ont semblé tels à un moment ou à un autre de ma vie. Je me suis forgée à leur contact et à celui des événements. J’ai essayé moi aussi de trouver ma place. Ce livre raconte donc cette histoire : la mienne, un peu, celle d’une revue et d’un pays, surtout. Lamalif était plus une institution journalistique et intellectuelle qu’un organe de presse, une institution construite patiemment pendant 22 ans et fondée sur la durée, laquelle était vue comme un acte en soi, une forme d’opposition, un défi destiné aussi à prouver qu’un autre Maroc existait. On a dit, souvent, que Lamalif était le parcours d’une élite occidentalisée, d’une petite élite, puisque pratiquant une langue, le français, et un langage, le plus souvent universitaire, souvent aride, s’adressant donc par définition à une fraction restreinte de la population. On peut voir aussi cette minorité, représentée dans et par Lamalif, comme forte d’une certaine conscience de classe, celle de la classe moyenne émergente, animée d’un idéal démocratique mais aussi d’une grande inquiétude face à l’avenir, et lourde de besoins insatisfaits, pratiquant donc à la fois l’engagement et la distance. Mais au-delà de cette intelligentsia, représentée par la trilogie des lecteurs, annonceurs, contributeurs, Lamalif a été aussi le parcours d’une ou de deux générations. Elle est née et a grandi avec la génération des lendemains de l’indépendance. Elle a donc été aussi, durant quelques décennies, le miroir de la vie d’un pays.

Si vous deviez reprendre cette aventure, auriez-vous accepté de le faire ?
Je vous dirais non. Je n’ai aujourd’hui ni l’énergie ni la force de le faire.

Pourquoi avez-vous tourné le dos au journalisme ? Votre carrière d’écrivain vous intéresserait-elle plus ?
Je fais des livres, mais je ne refuse pas de faire des articles. Je n’en ai tout simplement pas l’opportunité.

Quel regard portez-vous sur la presse marocaine d’aujourd’hui ?
C’est un regard intéressé. J’ai constaté non sans intérêt la floraison des titres, la diversité des sujets, le fait que certaines lignes rouges aient été franchies.

Etes-vous toujours engagée politiquement ?
J’ai milité à gauche pour un certain Maroc, pour son développement et son évolution. J’ai milité à l’Union progressive des femmes marocaines et à l’Union marocaine des travailleurs (UMT). J’ai été employée à l’UMT pour faire le journal « L’Avant-garde ». Cela dit, j’ai toujours veillé à être une journaliste indépendante.

Que pensez-vous de la classe politique d’aujourd’hui ?
La classe politique, autant que je sache, n’a pas une vision de ce qu’elle veut accomplir. C’est difficile de répondre à cette question.

Qu’est-ce qui vous passionne, vous inquiète, ou vous préoccupe le plus dans le Maroc d’aujourd’hui ?
C’est la montée de l’intégrisme, l’apparition de jeunes désespérés… Il me semble que la société devient de plus en plus conservatrice. Sur le plan social, il faut faire plus d’efforts. Il ne faut pas qu’il y ait un terreau de désespoir.

Que faites-vous aujourd’hui ?
Je suis à la retraite. Mais je poursuis ma carrière d’écrivain.

Lors des années de plomb, vous utilisiez le pseudonyme Zakya Daoud. Aujourd’hui, dans votre livre « Les années Lamalif », vous utilisez toujours le même nom d’emprunt. Pourquoi ?
J’ai commencé ma carrière de journaliste sous ce pseudonyme. C’est une seconde nature pour moi.

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