Culture

La seconde mort de Sadate

A-t-on le droit d’exhiber le cadavre d’un chef d’Etat dans un journal? Dans les pays où la liberté d’expression est acquise depuis longtemps, la réponse est laissée aux responsables des journaux. À eux de juger s’il y a une atteinte à la mémoire du défunt en montrant son corps déformé par un accident, carbonisé par le feu, criblé de balles ou simplement mort de sa belle mort naturelle.
Le débat se rapporte dans ces cas à la déontologie. Cela n’est malheureusement pas le cas dans les pays en développement. L’image d’un chef d’Etat y est sacrée. On ne peut pas la désacraliser et encore moins la montrer sans la parure qui participe à sa sacralité. Cette parure sous forme d’un bel uniforme ou d’un costume somptueux fait office du sceptre où logeait autrefois l’autorité du chef d’une tribu. La photographie du cadavre du président Anouar Sadate a suscité un tollé général en Egypte.
Cette photographie qui a été reproduite par l’hebdomadaire indépendant «Al Maydane» montre le cadavre du président à moitié nu dans une salle d’autopsie, suite à son assassinat en 1981. Sadate est en effet étendu sur un lit, le buste ensanglanté, le ventre criblé de balles. L’image a été apparemment prise quelques heures à peine après l’attentat. La diffusion de cette photographie a créé une crise dans les milieux journalistiques et politiques en Egypte.
Le président du conseil supérieur de la presse, Mostafa Kamal Hilmi, a fait part de son indignation dans un communiqué. Il juge inadmissible de porter atteinte à la mémoire du président Saddate. Il estime que cette exhibition est contraire à toutes les conventions journalistiques. Il en appelle à l’indignation générale au nom du respect des morts. Il n’hésite pas à illustrer son propos en recourant à la métaphore et à la comparaison. Il explique ainsi que lorsqu’un citoyen égyptien est renversé par une voiture, les gens accourent tout de suite pour couvrir son corps de journaux. Dans sa colère, il n’a sans doute pas prêté attention au fait que c’est justement un journal qui dé-couvre le corps de Saddate. Il s’est également attaqué aux principes de la personne qui a autorisé la diffusion de cette image. « Quel genre de personnes peut s’autoriser cette infamie ? » S’est-il écrié. La loi est présente selon lui pour mettre les citoyens à l’abri de ce genre d’abus.
La vive protestation qui a caractérisé, au lendemain de la parution de la photo, les débats de Majliss Choura (Conseil de la consultation) a apporté de l’eau au moulin du président du conseil supérieur de la presse.
Mahmoud Chanaoui, qui est à la fois membre de ce conseil et directeur de l’hebdomadaire « Al Maydane », a décidé de se séparer de son rédacteur en chef pour apaiser les esprits. Ce licenciement plonge toutefois le syndicat des journalistes égyptiens dans le désarroi. Ses membres sont partagés sur la position à suivre. Ils disent qu’ils vont étudier l’affaire. Mais il semble peu probable qu’ils prennent la défense de leur confrère licencié, tellement l’indignation et le sentiment de révolte semblent grands dans la société égyptienne.
En attendant la suite que prendra cette affaire, les derniers informés cherchent vainement un exemplaire du numéro où la photo a été publiée. Tous ont été vendus en un temps record. Gageons que l’image décriée est à l’origine de la fortune du journal. Le rapport fascination-répulsion à l’égard du visage de la mort empêche rarement de la regarder en face.

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