Culture

La trêve des bouchers

© D.R

Le corps humain est une sacrée machine. Toute une mécanique qui dispose d’un des plus mystérieux systèmes de régulation qui puisse exister. La science a établi depuis fort longtemps que cette composition de neurones et de cellules est pilotée par le cerveau, sorte d’ordinateur performant et inégalable. Un ordinateur qui engrange un nombre infini de logiciels et de puces microscopiques qui permettent à la race des humains de naviguer dans le circuit de la vie sur terre.
Mais le corps humain est aussi une machine capricieuse dont la maintenance n’est pas évidente. C’est peut-être pour cela que l’homme a inventé la notion même de repos. Quand il lui arrive d’atteindre un certain degré d’efforts physiques mais aussi intellectuells, le corps réclame des cessations temporaires d’activités pour plonger dans les délices de la détente et de la fariente et se requinquer. La chose a tellement été entendue qu’il a fallu institutionnaliser le repos en week-end puis en vacances. Outre les vacances méritées qui viennent couronner une année normale de labeur et de travail, le calendrier événementiel gratifie évidemment par des vacances qui ponctuent la vie de tous les jours. Entre fêtes nationales et religieuses, les Marocains font partie des sociétés nanties, en termes de repos bien sûr. Au total, un paquet de jours féris qui s’égrènent sur toute l’année et qui sont attendués par tous. Ces jours fériés ne se situent pas non plus sur le même niveau.
L’Aïd Al Adha est peut-être l’événement le plus attendu par toute la société marocaine. À observer l’intense activité qui s’empare de tous, une dizaine de jours avant le jour de la fête, on prend la mesure de ce que cet événement représente dans la vie de toute une société. Tout s’emballe et l’on se retrouve dans l’euphorie totale. Les souks et les marchés sont pris d’assaut par une frénésie d’Achat, qui dépasse celle qui caractérise la période du mois sacré du Ramadan. Entre moutons, épices, ustensiles de cuisine et autres gadgets, les ménages engloutissent toutes leurs économies et s’endettent pour faire simplement la fête.
Ouverts jusqu’à une heure tardive de la nuit, tous les souks et les marchés vivent l’embellie de l’instant. On achète tout et rien. Même ceux qui ne possèdent rien achètent. La joie et le bonheur se lisent sur le visage de tous. On laisse de côté tous les petits drames de la vie de tous les jours. On en arrive même à oublier qu’il n’a pas été évident de trouver l’argent nécessaire pour acheter la bête à sacrifier. Trains, autocars et grands taxis sont sollicités par des milliers de voyageurs qui profitent de ces jours fériés pour aller partager la brochette avec leurs familles. Bref, le Maroc en entier vibre au rythme de la fête, s’y colle et s’en imprègne dans tous les sens. Une ambiance qui plaît et enivre. Comme le font d’ailleurs toutes les ambiances éphémères. Car, et dès le lendemain de la fête, nos villes et villages s’empressent de se débarrasser de cette aura de fête pour (re) tomber simplement dans la plus triste des léthargies. Toute l’activité qui avait marqué les préparatifs s’évanouit et s’évapore.
En l’espace d’une journée, la vie change de ton et de couleurs. Les rideaux baissés de plusieurs commerces, la relative accalmie dans les carrefours réputés par leurs embouteillages monstres, la clientèle disparate sur les terrasses des cafés, habituellement bien ancrée dans l’espace, la mine grisâtre des rares passants qui osent s’aventurer dans les rues et ruelles, l’air lugubre des maîtresses de maison qui réalisent, tout d’un coup, l’absence prolongée de la bonne partie passer la fête en famille, l’impossibilité de trouver un sandwich, d’acheter un bifteck, de trouver un cordonnier, un plombier ou un écrivain public, sont parmi les indices qui laissent planer une impression bizarre. Une impression de ville-morte, où toute l’activité tourne au ralenti.
Dans les administrations, seule une poignée de fonctionnaires tente de maintenir en survie les services nécessaires. Si l’obtention d’un permis d’inhumer est possible, celle d’un passeport ou tout autre papier, relève de la gageure. Revenez après l’Aïd est de tout façon le leitmotiv habituel. C’est vrai que la reprise est toujours difficile après des vacances, mais chez-nous, un week-end de fête dure un peu plus qu’ailleurs. Au minimum, une dizaine de jours. C’est comme cela.
Depuis toujours. Encore plus quand ce fameux week-end coïncide avec des vacances scolaires. Les parents s’arrangent pour accompagner le rythme de leurs gosses. On s’arrange comme on peut, mais on s’arrange. Une semaine après l’Aïd, l’ambiance demeure la même. Rien ne pointe à l’horizon. Le journal télévisé est ennuyeux à mourir. Entre reportage sur la gestion des ordures en ces périodes de fêtes et un autre reportage sur le même thème, l’information s’effrite et se dilue. On peine. On a presque envie de l’inventer, cette information. On ne le fait pas question de déontologie…
Dans les rédactions, les téléphones ne sonnent que ponctuellement. Les journalistes ne sont pas sollicités. Parfois, les téléphones crépitent pour laisser la voix désincarnée, mise à contribution par l’opérateur, vous répondre.
Hors zone. Ne peut être joint. Tout le monde est en vacances. Tout le monde se repose. Difficile de reprendre. Les corps se reposent. Et pour leur permettre de digérer tous les festins, on s’oblige à leur accorder le temps qu’il faut. Tout le temps nécessaire. C’est la tradition et on ne badine pas avec ces traditions là.

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