Culture

La vitalité d’un homme

La littérature des prisons. Florissante, grave, tragique, elle constitue aujourd’hui dans notre pays un genre littéraire en soi. Ceux qui ont fait l’expérience de la prison ont tous des choses à nous dire. Les épreuves, les privations, la torture sont un sujet qui loge aisément dans un livre. Ceux qui manient plus ou moins bien la plume rapportent eux-mêmes leurs témoignages. Ceux qui éprouvent de la pudeur face à l’écriture sont assaillis par des écrivains attitrés. Ils finissent par leur déléguer le droit de mettre noir sur blanc leur vécu.
La recrudescence d’une chose porte toujours un revers cinglant, et la littérature ne peut se résoudre au récit de la vie dans des pénitenciers. Nombre des auteurs de ces livres adoptent de surcroît un ton si uniforme qu’il lasse à la lecture. Il ne s’agit pas de remettre en question la légitimité des témoignages, encore moins l’expression de la douleur de leurs auteurs, mais de dire qu’une fois intégré dans un livre, un propos quel qu’il soit obéit comme tout autre écrit à la loi du bon et du mauvais. Et une expérience aussi intéressante, du point de vue de la mise à nu de la douleur d’un homme, ne suffit pas pour faire un bon livre. C’est dans ce sens que plusieurs lecteurs ouvrent aujourd’hui les livres participant de cette littérature des prisons avec beaucoup d’appréhensions.
Cette crainte s’évapore vite dans le petit livre de Aziz El Ouadie. Dans « Sel et poivre », cet auteur n’adopte pas un ton terrible, tragique. Certes, il ne cache pas les détails d’un sort injuste et douloureux, mais cette injustice ne l’empêche pas de chercher des situations qui se prêtent à la littérature – et tout particulièrement le burlesque et l’absurde. Et puis, Aziz El Ouadie s’efface souvent pour réaliser les portraits de ses camarades. Il est à cet égard plus à l’aise avec des personnes inconnues du grand public qu’avec des noms connus de tout le monde.
Le sel dans le livre, ce sont plusieurs situations drôles qui tiennent du burlesque. Comme ce prisonnier à qui le juge demande de reconnaître « les objets saisis », et qui répond : « Monsieur le juge, je suis l’unique saisi ici ! » Ou encore la situation de 139 séquestrés jugés en une seule fois, lors d’une audience qui commence à 21 h et ne se termine qu’à 8 h. Le sommeil a alourdi les paupières de plusieurs accusés. Un petit groupe a été chargé de garder les yeux ouverts et de consigner les peines. Le plus drôle nous apprend Aziz El Ouadie, c’est que nombre des accusés se réveillaient en sursaut pour s’enquérir du nombre d’années dont ils ont écopé ! Le poivre, ce sont des épisodes nettement moins drôles, à propos desquels l’auteur ne nous cache rien, sans toutefois omettre d’introduire un peu de sel pour marquer l’absurde de la situation. L’écrivain nous apprend à cet égard qu’une relation de bon voisinage existait entre les prisonniers et les rats. Ces bêtes en sont presque devenues des animaux de compagnie.
En 1977, les séquestrés entament une grève de faim pour améliorer leur situation. La communauté de rats ne trouvait plus les miettes de pain et restes de repas auxquels elle a été habituée. Elle n’a pas poussé la solidarité avec les prisonniers jusqu’à s’abstenir de manger. Bien au contraire, la faim a enragé certains rats « de la taille d’un chat ». Ils sont sortis de leurs abris et ont semé la terreur parmi les grévistes qui craignaient que leur corps, rendu bien maigre par l’abstinence, ne serve de repas à leurs bons voisins de naguère.
Au fil des pages du livre, on comprend que la force de Aziz El Ouadie ne réside pas dans le vibrato d’un cri de rage ou dans la dénonciation, mais dans le fait d’être resté, de même que ses amis, des hommes capables d’aimer et de rire, en dépit d’une situation qui ne s’y prête pas. «On riait pour dire aux autres qui nous regardaient et nous écoutaient que nous sommes des hommes ». À tout prendre, cette forme de résistance, par la dignité et la vitalité, est beaucoup plus difficile que le fait de s’enfermer une fois pour toutes dans les prisons du « il était une fois… »

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