Culture

Laâbi nous ouvre sa maison

L’expérience mérite notre attention. Un poète ouvre son espace intime à ses lecteurs. Il expose aux regards de tous les objets qui comptent le plus à ses yeux. Des oeuvres d’art évidemment, mais également des objets divers auxquels il accorde une valeur sentimentale. Il a intitulé son recueil de poésie «Petit musée portatif».
L’expression est modeste, affectueuse, sans prétention, plaisante, pour inviter les lecteurs à parcourir sans façon la géographie artistique de prédilection du poète. On connaît le musée imaginaire d’André Malraux. Une expression qui désigne les reproductions des oeuvres d’art qui circulent, en dehors des enceintes des musées, dans des livres. Mais le livre de Abdellatif Laâbi s’en distingue. D’abord, parce qu’il n’y est pas seulement question d’oeuvres d’art au sens strict du mot, et ensuite, parce qu’il a associé un peintre à son livre. Abdellah Sadouk a mis son art au service du peintre lorsqu’il s’agit d’encrier, d’étriers, d’un bonhomme chinois, d’un coussin brodé, d’une étagère ou d’une table. Il a transformé en aquarelles très légères ces pièces. Il aurait été facile de les reproduire par le truchement de la photographie, mais le poète et l’éditeur ont voulu qu’un peintre soit présent dans ce livre pour souligner le caractère plastique du musée portatif. Ils ont eu raison, car Sadouk a montré une partie inconnue ce qu’il sait faire. Ses aquarelles dotent d’un supplément d’art les pièces du poète. Dommage qu’elles soient reproduites en noir et blanc !
Au reste, l’illustration est à la fois plastique et verbale.
Les illustrations de Sadouk sont assujetties à la configuration de l’objet qu’elles reproduisent. Elles créent cependant un rythme plastique accordé à celui qui naît de la lecture des poèmes. L’interdépendance entre ce qui est écrit et ce qui est figuré est également totale. Tous les poèmes de Laâbi sont en rapport étroit avec le tableau ou l’objet qui est juxtaposé à la page qu’ils remplissent. Le poème, écrit à propos de l’objet reproduit, est bref, rythmé, sans ponctuation, instruisant avec une rare intensité sur les attributs que son auteur lui confère. Nombre de ces poèmes se ressentent de la fantaisie productrice de sens et présentent un caractère tendrement espiègle. Ainsi à propos d’une statuette, le poème intitulé «Bonhomme chinois» se lit ainsi «Un bout d’ivoire/ échoué sur la table/ Le sage-fou/ s’appuie sur sa barbe/ Il pose/ devant les poèmes qui passent». La plupart des poèmes de Laâbi participent de l’esprit de celui sur le bonhomme chinois. C’est dans la fulgurance du trait d’esprit que loge leur force. Le musée portatif du poète comprend aussi des phots de ses parents, tels qu’il voit, tels qu’ils sont encore vivaces dans sa mémoire et son coeur. C’est dire l’aspect hybride de ce musée qui tient d’un vade-mecum indispensable à la mémoire visuelle et tactile de son propriétaire. L’objet en question devient un éveilleur de souvenirs. Une petite table syrienne rappelle à son possesseur « les écoliers en uniforme/ de l’armée des idées Baath ».
Elle constitue un réquisitoire contre le régime dans ce pays. Une table carrée a servi à dérober aux yeux de la police des documents compromettants. Aujourd’hui «elle ne sert plus/ qu’à ranger les cendriers/ les cure-dents/ et des serviettes en papier» déplore le poète. Et de conclure: «Elle doit vivre cela/ comme une déchéance». Au fil des poèmes, on se rend compte de leur caractère fanatiquement autobiographique. Quels que soient les objets que Laâbi a sélectionnés dans ce livre, ils sont tous associés étroitement à sa vie. Son recueil ne présente pas, à cet égard, cet aspect léger des livres illustrés auxquels les auteurs ne réservent pas toujours les textes qui leur tiennent le plus à coeur.
«Musée portatif» révèle une expérience capitale aux yeux de son auteur. Et puis, il y a les peintres de Laâbi, ceux qui ornent les murs de sa maison. Le moindre des intérêts de ce livre consiste à connaître la communauté des artistes plasticiens dont le poète se réclame. Leurs tableaux sont reproduits en couleur. On dénombre parmi ces artistes les Marocains Gharbaoui, Saladi, Kacimi, Chebaâ, Miloudi et les Occidentaux Laura Rosano ou Bazaine. «Musée portatif» est aussi un livre bien fait. La qualité de la typographie, du papier et des reproductions est irréprochable. Une seule réserve : la mention dessin dans la couverture pour désigner la technique employée par Sadouk dans ses illustrations, alors qu’il s’agit d’aquarelles. Une façon une peu bizarre de légitimer leur reproduction sans couleurs.

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