Culture

L’Aïta à la rencontre de la presse

© D.R

Que les chioukhs de l’Aïta parlent eux-mêmes de leur art, cela relèverait de l’événement. L’usage voulait que le discours sur leur art soit le monopole absolu de spécialistes de l’exégète et autres champions auto-déclarés de la «recherche» sur les arts traditionnels. Résultat : la parole a trop souvent été confisquée à ceux qui sont censés connaître leur art, mieux que quiconque. Or voilà, pour une fois, ils ont parlé, mieux, intéressé un parterre de journalistes et autres fans qui ont fait, mardi après-midi, un déplacement massif à l’hôtel Sofitel-Diwan, à Rabat.
Avec une remarquable spontanéité, et une franchise désarmante les frères Bouazzaoui, représentés par Salah et Khalid, et les Frères Ben Akida, accompagnés par la nièce de la regrettée Fatna Bent L’houcine, Hafida El Hasnaouia, ont répondu aux questions curieuses d’un auditoire visiblement passionné. A souligner, en passant, que ces chioukhs invités représentent deux styles différents de l’Aïta : les Bouazzaoui, le «mersaoui», lequel vit le jour dans la région de la Chaouia ; les Ben Akida, eux, le «hasbaoui», nom qui renvoie à la région qui lui donna naissance, «Al Hasba» située dans la région des Abda. S’agissant des questions, en voilà une première d’ordre essentialiste: c’est quoi, d’abord, l’aïta ? Pour la cheïkha Hafida El Hasnaouia, l’aïta, que l’on peut traduire par le «chant d’appel», reste un document précieux sur une partie de l’histoire du Maroc. En effet, dans les anciens «ayout», la lumière est faite sur la période de la «siba» (anarchie).
Une cheïkha, «Kharboucha», excédée par l’autoritarisme de Si Issa, donne le ton d’un soulèvement populaire contre l’absolutisme répressif des caïds. D’où viendrait peut-être l’appellation «aïta», qui fut à l’origine un cri de révolte. Des titres de «ayout» sont révélateurs à plus d’un égard, il suffit de citer «Darbou, ya l’haraba», «Kharboucha» et autres textes pour comprendre cette dimension guerrière que revêtent les vieux «ayout». Au-delà des appels à l’insurrection, incarnés par un lexique qui sent le baroud, il y a bien entendu d’autres thèmes que l’on peut relever à travers l’évolution de cet art. Si, à l’origine, l’aïta fut une réaction au despotisme des gens d’autorité, elle se voudra plus tard le thermomètre social des couches populaires de la période pré-coloniale du Maroc : sécheresse, récoltes, famine, épidémies, idylles, joie de vivre…
Malheureusement, une bonne partie de ces «ayout» ont disparu. «30% des ayout furent perdus», fait constater Salah Bouazzaoui. Le luthiste, en indiquant que l’aïta a inspiré de grands compositeurs comme le regretté Abdelkader Rachdi, a signalé que l’aïta doit sa «survie» à une méthode rudimentaire : l’apprentissage par cœur des «ayout», et leur transmission de père en fils. Khalid Bouazzaoui, son frère, n’a pas mâché ses mots. En dénonçant le manque d’intérêt pour ce mode musical traditionnel, il a tenu à mettre en garde contre le risque de dénaturer l’aïta. En effet, quelques «parasites» ont fini, sous le couvert de la modernité, par vider l’aïta de son contenu en la réduisant à sa simple expression sonore. Pire encore, les textes originels de l’aïta se voient greffer des paroles suintant de vulgarité. Et de citer une expression qui en dit long sur un massacre programmé de l’art de l’aïta : «ya w’zid dardak», s’indigne Khaled Bouazzaoui. Sur le point de savoir si Abdelaziz Stati, programmé par le Festival de Rabat aux côtés des frères Bouazzaoui et Ben Akida, était de la famille des chioukhs de l’aïta, Hafida El Hasnaouia, a répondu par l’affirmative. Pour elle, Stati a pris ses galons de super-étoile de la musique populaire grâce à sa maîtrise de l’aïta.
Après cette rencontre pionnière, et par-dessus tout très édifiante, le public avait rendez-vous, mardi soir au Palais Tazi, avec une soirée «spécial aïta» très animée. Ce public, dont l’affluence a atteint des sommets, a pu communier, par le chant et la danse, avec les vedettes de cet art : Ben Akida, Bouazzaoui et Abdelaziz Stati. Avec ces célébrités, le public a eu droit à une forte dose de catharsis.

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