Culture

L’art des épines et des barbelés

© D.R

L’un comme l’autre donne à voir une condition humaine épineuse. Les épines de Yamou sont des clous plantés dans des cactus. Celles de Binebine des ficelles paralysant des cris de détresse. D’abord, Yamou. Il est littéralement étonnant dans cette exposition. Alors qu’il nous a habitués à des floraisons qui chantent les symphonies du vert. Ces tableaux végétaux, où les plantes verdoient en toute tranquillité. Ces surfaces si lisses que l’oeil peut y glisser, tellement, il ne rencontre rien pour le retenir. Voilà qu’il se hérisse pour sortir de tranchants ergots. Les feuillages verts disparaissent sous des climats arides pour laisser survivre des cactus. Ils sont si présents qu’ils ne peuvent tenir dans l’enceinte d’un tableau. Ils ont bondi des tableaux pour s’exposer aux quatre vents. De la peinture, Yamou est passé à la sculpture. Et cette évolution en met plein les yeux. Certes, il existe un dénominateur commun entre les tableaux et les sculptures : le règne végétal. Les deux formes d’expression concrétisent une même préoccupation de l’artiste. Mais combien les cactus hérissés de clous sont plastiquement amples et nous émeuvent davantage ! Dans les cactus cloutés, Yamou ne refuse pas l’existence à des frondaisons de vie. Il creuse souvent dans le corps des plantes arides un orifice – véritable cratère – qu’il comble d’un lopin de terre où foisonne une minuscule végétation touffue. Il n’est pas interdit de s’en rapprocher pour humer une touffe d’herbe et se rendre compte qu’elle n’est pas artificielle. La pièce la plus surprenante de Yamou n’est pas toutefois un cactus, mais un homme et une femme dont les corps sont criblés de clous. Étendus sur le sol, ils détournent le regard des spectateurs. La notice explicative, collée à côté de leurs corps, nous renseigne sur leur identité. Il s’agit d’Adam et d’Eve. Et le très curieux, c’est que Yamou semble avoir inversé les rôles. Les lopins d’herbes germent dans les flancs d’Eve, témoignant des traces de la vie qui vient de s’extraire de cet endroit. Les côtes d’Adam ne portent pas de plaie. C’est lui qui semble être sorti des flancs de sa compagne. Les clous de Yamou entretiennent une juste résonance de sens avec les tableaux de Binebine. Il existe une base de cruauté dans les tableaux de ce dernier. À l’aide de cire, de pigments, il peint des masques fissurés, triturés, lacérés, ficelés. Ces oeuvres rappellent l’exposition de Binebine avec le peintre espagnol Galanda sans toutefois s’y résorber. Le peintre marocain est habité par une souffrance obscure, mais son faire évolue. Il s’éloigne peu à peu des masques pour se consacrer à des corps recroquevillés. Des personnages sans visages, évoluant dans des postures inconfortables. La ligne qui trace ces personnages est creusée par un couteau, comme si le pinceau n’était pas suffisamment mordant pour corroder le support. Ils sont de surcroît plongés dans l’anonymat. Les personnages de Binebine n’ont jamais de visages. Et quand le peintre veut leur donner une identité, il les réduit à des masques, exprimant une détresse des plus innommables. Mahi Binebine ne fait pas de mystère sur cette fascination que les cris de détresse exercent sur lui. Il affirme toujours voir Tazmamart (son frère y était détenu) lorsqu’il peint. Mahi Binebine, qui est au reste écrivain, inscrit parfois des mots dans ses tableaux. Des phrases difficilement déchiffrables. Dans une ancienne oeuvre, il avait écrit le mot “lumière“ et l’a ensuite barré, comme s’il regrettait de l’avoir commis. Pourtant, le miracle de la peinture de Binebine, c’est qu’elle est lumineuse alors même qu’elle représente un abrégé noir de la condition humaine.

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