Culture

Le corps complexé de la danse

© D.R

“Comment faites-vous pour ne pas bander ?“ Cette question a été adressée par un intellectuel notoire de Casa au danseur et chorégraphe Lahcen Zinoun. L’intellectuel en question avait accompagné ses filles à un cours de danse, dirigé par Zinoun. À la fin de la séance, il est venu l’air goguenard, le front huileux, les pupilles en feu pour entretenir le chorégraphe non pas des enjambées lyriques des danseuses mais d’élans priapiques. “Je suis tombé des nues“, explique Zinoun. “Je savais, je ne sais que trop que les Marocains ont d’immenses problèmes avec leurs corps. Mais qu’un intellectuel n’ait perçu que des pulsions sexuelles dans une danse, cela signifie qu’un travail immense reste à faire pour nous réconcilier avec le corps“. Et c’est ainsi que la conférence sur la cinquième édition du festival international de danse de Casablanca a rimé avec apologie du corps. “Il faut libérer le corps. Il existe un noeud ! Tant qu’il persistera, nous n’irons nulle part dans les expressions artistiques“, ajoute Zinoun. Le problème qui préoccupe le chorégraphe marocain n’épargne pas les autres formes artistiques. Il suffit de rappeler que le nu, qui est un genre en peinture au même titre que le portrait ou la nature morte, suscite régulièrement, ici, des réactions de rejet. Mais il est vrai que le rapport des Marocains avec leurs corps s’exacerbe particulièrement dans la danse. Tout le monde sait que c’est parmi la gent féminine que les professeurs de danse recrutent leurs élèves. Les parents considèrent sans doute que cet art risque de déviriliser leurs garçons. Quant au festival à proprement parler, il en est à sa cinquième édition. Ce qui constitue en soi un exploit, “un défi“, comme l’a souligné Mohamed El Amine Moumine, directeur du complexe culturel de Moulay Rachid qui abrite l’événement. Défi, compte tenu des immenses difficultés auxquelles sont confrontés les organisateurs. Lahcen Zinoun, directeur artistique de la manifestation, n’opère aucun choix artistique. “Si on avait les moyens, on aurait choisi nous-mêmes les compagnies, mais nous sommes contraints d’accepter ce que les ambassades étrangères nous proposent“, dit-il. Le montage financier de cet événement est très compliqué. Il est impossible de chiffrer son budget : entre 2 et 4 millions de DH, précisent les organisateurs. Mais à l’exception d’un chèque de 140 000 DH du ministère de la Culture, aucune autre institution ne juge intéressant de promouvoir la danse au Maroc. Chaque ambassade prend en charge intégralement les frais de transport, de séjour et le cachet des compagnies. La préfecture de Moulay Rachid assure une petite aide logistique. En dépit de l’absence de liberté dans le choix des troupes, les amateurs de danse pourront assister à des spectacles de qualité. À tout seigneur, tout honneur. “Stockhausen“ de la célèbre chorégraphe belge Michèle Noiret ouvrira le bal. Le public pourra également apprécier “Si loin, si près“, chorégraphié par le sino-français Gang Peng qui s’est inspiré des musiques du Maroc pour donner corps à son spectacle. De Suède, le public pourra découvrir “Voices of day and night“, chorégraphié par Eva Ingemarsson. De France : “Zoom avant“ avec une chorégraphie très andalouse de Josette Baïz. Et grande nouveauté de cette édition : une oeuvre d’un chorégraphe irakien, établi en Suède, sera présentée au public. Il s’agit de “Pas d’homme“. Des ateliers de formation sont programmés chaque jour. Les amateurs de danse au Maroc pourront ainsi se frotter aux grands danseurs invités au festival qui souligne encore une fois la précarité des événements artistiques, organisés au Maroc. Un jour, il faudra dire combien la culture dans notre pays doit à certaines ambassades étrangères. Si elles venaient à fermer leurs établissements culturels au Maroc ou à arrêter leur aide financière, bien téméraire celui qui saura mesurer l’étendue du désastre.

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