Culture

Le gai savoir de Kilito

Pétrarque haïssait si bien les Arabes qu’il refusait qu’on lui administre des médicaments portant une étiquette en arabe, préférant ainsi mettre sa vie en danger au lieu de nourrir une quelconque reconnaissance à l’égard d’un peuple détesté. Le livre de Abdelfattah Kilito s’ouvre sur une épigraphe de cet auteur italien du XIVe siècle. «Tu ne parleras pas ma langue» est ainsi placé sous le signe de la confrontation hostile entre deux cultures. Cette confrontation s’effectue par le truchement de la langue.
Du temps de leur apogée littéraire, les Arabes se sont complètement désintéressés du fait de savoir si leurs écrits peuvent être mis dans une autre langue ou non. Bien plus : ils ont redoublé d’inventivité, ont usé de tournures inconnues à l’autre à seule fin de rendre la traduction impossible. En attestent, selon Kilito, les «Maquamats» de Al-Hariri dont chaque phrase dit : «personne ne saura me traduire».
Les écrits en arabe étaient donc destinés aux personnes qui lisent et écrivent cette langue. C’était avant que le monde arabe ne dorme d’un sommeil si profond qu’il n’a pas vu les siècles défiler. Avec le réveil au XIXe siècle, les choses changent. Les auteurs arabes écrivent pour la première fois en ayant à l’esprit un traducteur éventuel. Quelques problèmes sont posés au passage autour de la traduction. Difficulté de mettre dans une autre langue la poésie – genre littéraire par excellence des Arabes. Kilito est revenu sur la traduction par Averroès de «L’art poétique » de Aristote. L’on sait que le philosophe arabe s’est trompé dans la traduction des deux mots-clefs de cet ouvrage. Il a pris la tragédie pour l’éloge, et la comédie pour la satire. L’analyse que fait Kilito de cette déformation est magnifique. Le rapport à l’autre, et à sa langue précisément, fournit ensuite à Kilito la matière de son livre. Ibn Batouta et ce qu’il a dit de son voyage en Chine. Le livre d’un Marocain, Assafar, qui a fait partie d’une délégation officielle en visite à Paris… Dans le dernier chapitre, l’auteur en vient à parler de sa propre expérience.
C’est une révélation qui semble être à l’origine du livre : «un jour, il m’est apparu que je n’apprécie pas que les étrangers parlent ma langue». En fait, Kilito ne s’oppose pas tout à fait à ce que des étrangers parlent sa langue. Ils peuvent essayer de l’apprendre, mais avec l’accent et les petites fautes qui prouvent leur étrangeté à cette langue.
En revanche, un étranger qui parle couramment la langue de l’écrivain le met mal à l’aise. Il n’est pas le seul d’ailleurs, puisque les livres lui fournissent des situations similaires. La classe de Kilito, ce qui fait l’identité unique de sa littérature dans notre pays, c’est qu’il trouve, l’air de rien, des parentés entre le passé et le présent.
Les situations actuelles existent déjà dans un livre. Dans son amour de la littérature, dans cette bibliothèque où il se tient (Kilito est le plus borgésien des écrivains marocains), il sort un livre pour y trouver une description équivalente d’une situation préoccupante. C’est sans doute sa façon de dédramatiser les faits. La bibliothèque de Kilito est vaste. L’érudition de «Tu ne parleras pas ma langue» le prouve. Mais il ne s’agit pas d’une érudition lourde ou ennuyeuse. Kilito prend par la main son lecteur, et l’invite à un moment de partage. Celui d’un gai savoir, et d’un plaisir intense : le texte.

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