Culture

Le livre islamiste occupe la librairie

Combien de bouquinistes ont transformé leur librairie d’un lieu de vente et d’échange de livres participant des sciences humaines et des sciences exactes en boutique vendant des articles religieux ? À Rabat ou à Casablanca, qu’on déplore ou qu’on se réjouisse de cette tendance, force est de reconnaître qu’elle existe. Les quartiers populaires sont les premiers concernés.
Le marché aux puces de Akkari était l’un des hauts lieux du livre d’occasion à Rabat. Les deux bouquinistes qui possèdent des locaux dans cet endroit ont modifié en très peu d’années le contenu de leurs librairies. Cette métamorphose s’est opérée progressivement à la librairie Assalam. Des générations de lecteurs ont été pourtant formées dans ce lieu. Il faisait en vérité office de bibliothèque de prêt, parce qu’on pouvait y acheter un livre de n’importe quelle collection et le changer autant de fois qu’on le veut, moyennant une somme modique. Il y avait des B.D, des romans littéraires, des romans à l’eau de rose, des polars, des livres de philo, de sociologie…
Les livres en français et en anglais occupaient les 3/4 de la librairie. Le reste revenait à des livres de critique et de littérature en arabe. Ces derniers ont été les premiers concernés par l’introduction du livre islamiste. La littérature a cédé la place à la religion. Ensuite, les livres religieux ont si bien proliféré que l’espace qui leur était réservé est devenu à chaque fois étroit. Ils ont très vite fini par se partager l’espace de la librairie avec les livres écrits en latin. Deux sortes de lecteurs se rencontraient alors dans cette librairie. Les uns intéressés par les livres de littérature, les B.D., les séries romantiques ; les autres par les ouvrages traitant de l’islam.
Cette rencontre était des plus curieuses. Mais elle a été très vite déséquilibrée au bénéfice des lecteurs de livres religieux. La librairie adjacente à Assalam a subi le même sort. Mais son propriétaire parle moins de conviction religieuse que de nécessité de vendre. Pour Abdelmajid Wafir : « la prolifération du livre islamiste est moins une affaire d’engagement que de marché ». Il ajoute : « Je peux vous assurer que personne ne vend les livres islamistes par conviction ». Ses propos sont étayés par Bichre Bennani, libraire et éditeur à Casablanca. Ce dernier explique la prolifération du livre islamiste par la crise de lecture qui sévit dans notre société. « Le lecteur cherche des livres à petits prix. Lorsqu’il en trouve qui se vendent entre 2 et 5 DH, il les achète. Ces livres se vendent à de bas prix parce qu’ils sont subventionnés, encouragés par des pouvoirs extérieurs ». Bichre Bennani dresse un constat très inquiétant de la situation des librairies au Maroc. Pour lui, les libraires qui refusent de faire du prosélytisme ferment leurs boutiques, les autres se transforment en agents de propagande islamiste. En atteste ce qui se passe au quartier Habbous à Casablanca.
La responsabilité du Ministère de la Culture est patente selon lui. « Le ministère de la Culture refuse de s’adresser aux professionnels. Bien plus, il les casse par son absence totale de politique du livre qui fait l’affaire des propagandistes ». Il ajoute : « La situation est très grave. Et nos responsables n’ont pas l’air de s’inquiéter. Si cela continue ainsi, on ne trouvera plus de livres en dehors de ceux du foot, de la cuisine et du prosélytisme ». Voilà pour la brume qui fait peser une lourde menace sur l’avenir du livre dans notre pays.
En attendant, quelques traces attestent encore que la librairie Assalam n’a pas toujours ressemblé à ce qu’elle devenue aujourd’hui. Le hasard veut qu’une édition non épurée des « Aventures de Juliette » par le marquis de Sade loge encore dans les rayonnages – à côté des livres de Al Karadaoui.

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