Culture

Le monde est une pièce de monnaie

Il ressemble à Roland Barthes et parle comme un livre. Mohamed Laallaoui énonce des phrases bien arrondies, avec des articulations, des mots de liaison et même, chose rare dans le langage parlé, des incises. Et comme il a beaucoup de souffle lorsqu’il s’exprime sur son métier, il donne l’impression d’avoir un document invisible devant les yeux. Un document avec beaucoup de pages. Car l’intéressé est intarissable sur le métier qui fait briller ses yeux : la numismatique.
Cet ancien directeur du musée de la monnaie de Bank Al-Maghrib est connu dans le monde très fermé des numismates. Sa réputation, il ne la tient pas du poste de conservateur d’un musée, mais d’un livre qu’il a co-écrit avec Daniel Eustache : Corpus des monnaies alaouites. Un ouvrage en trois volumes, 1500 pages, et qui a nécessité dix années de recherches. Un travail fabuleux non seulement sur la monnaie alaouite, mais sur toute la monnaie frappée en terre d’Islam. Rien ne sera plus pareil dans la numismatique après la publication de cet ouvrage en 1986. A sa parution, il a été salué par l’Association mondiale des numismates professionnels qui lui a décerné le Prix d’honneur. «A la faveur de cette publication», comme le dit son co-auteur, le congrès international de numismatique a up-gradé la monnaie islamique en lui réservant un module de réflexion, alors qu’elle était jusque-là confondue avec les monnaies chinoises et japonaises sous le nom générique de monnaies orientales. Peu de personnes se souviennent aujourd’hui que cette promotion a été fabriquée par deux hommes au Maroc. C’est pourtant à la suite de cette parution qu’il y a eu un engouement, jamais démenti depuis, pour la monnaie islamique.
Dès qu’on essaie de le faire parler d’un autre sujet, M. Laallaoui esquisse un sourire, sans doute faussement niais, et revient à la monnaie. Il est fier de l’Histoire du Maroc à travers la monnaie. Elle va de la période antique, avec des pièces puniques, romaines et grecques datant du 5e siècle avant J.C., et laisse des témoignages de toutes les dynasties qui se sont succédées au Maroc après la conquête de l’Islam. Il cite les pièces rares qui existent au musée de la monnaie. Principalement un aureus, représentant Juba II, unique au monde. L’expert en numismatique est aussi un érudit. Il parle de document monétaire et il s’enorgueillit d’une rencontre qui a permis de trancher définitivement une querelle qui divisait les historiens. «Ma grande satisfaction, c’est d’avoir déniché chez un collectionneur une pièce idrisside dont le nom n’était indiqué nulle part». Elle a été frappée dans un atelier à Aghmat, une localité située près de Marrakech et porte l’inscription d’Idriss premier. Or le voyageur et historien Al Bakri n’a jamais fait référence à cette ville dans ses récits sur les Idrissides. «Les historiens coloniaux en ont conclu que la frontière sud du territoire des Idrissides ne dépassait pas le fleuve Oum Rabiâ». Ibn Khaldoun avait pour sa part écrit que le pouvoir des Idrissides s’étendait jusqu’à Aghmat. Mais peu d’historiens accordaient du crédit à cette thèse, jusqu’à la découverte de la pièce de monnaie qui en apportait la preuve irréfutable. Rien ne destinait M. Laallaoui à son fabuleux destin numismatique. Daniel Eustache, auteur d’un livre sur les monnaies des Idrissides, avait été chargé au début des années soixante de mettre de l’ordre dans une très importante collection qui appartenait à Jacques Brethes, acquise par Bank Al-Maghrib en 1949. Il avait besoin d’un assistant. Les banquiers qui avaient été désignés pour l’assister ont tous fui après une semaine. L’homme ne tolérait pas le manque de curiosité dans ce métier. M. Laallaoui, alors jeune banquier, a laissé à ses collègues les billets de banque pour plonger dans le monde des monnaies anciennes. Il se souvient de son combat avec M. Eustache pour empêcher les bijoutiers d’envoyer à la fonte des dinars en or. Il fallait donner à la monnaie une valeur supérieure à son pesant en or.
Et pour arriver à cette fin, il n’y avait pas d’autre moyen que de créer des collectionneurs. «Ils existent au Maroc, mais sont très discrets». M. Laallaoui ajoute que le marché de la monnaie islamique est prospère en Europe. Il précise que de grandes maisons de vente aux enchères, comme Shotby’s, consacrent trois ventes par an à la monnaie islamique. Dans son long combat pour la numismatique, l’intéressé a eu une grande consolation : voir inaugurer, en juin 2002 par SM le Roi Mohammed VI, le musée de la monnaie dont il a assuré, bien évidemment, la direction. Atteint par la limite d’âge, M. Laallaoui n’est pas toutefois resté longtemps à la tête de ce musée. A 59 ans, il est fier du nouveau livre qu’il a écrit sur la collection du musée. Mais certainement que son destin numismatique se ne se limite pas à cette parution. L’homme fera encore parler de lui.

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