Culture

Le présent peu reluisant du café Balima

Qu’est-il advenu du café de l’hôtel Balima, 94 ans après sa construction ? Apparemment, cet édifice historique, situé en plein cœur de Rabat, n’a rien perdu. A part, peut-être, l’essentiel : son âme. Abdeljalil Zarhaoui, qui officie dans cet hôtel depuis 1970 en tant que chef du service d’accueil, n’a presque plus que les yeux pour pleurer. Seule consolation : ses archives. Interrogé sur le « devenir » de l’hôtel, il préfère répondre autrement. Pas une seule parole, mais des mots griffonnés sur un papier jauni sous l’effet du temps qu’il prend le soin de sortir d’un vieux tiroir. «Il y en a pour qui le sang n’est qu’un ordinaire breuvage». C’est ainsi que commence un long poème inédit du regretté Mohamed Khaïreddine, écrit dans une chambre de l’hôtel Balima.
L’écrivain l’a dédicacé à M. Zarhaoui, en souvenir d’un moment privilégié. «M. Khaïreddine traitait le personnel de Balima avec beaucoup de tendresse, nous étions ses véritables compagnons», se réjouit M. Zerhaoui, enthousiaste à l’idée de nous dévoiler ses «armoiries». Dans le lot, on reconnaît une autre dédicace du doyen des cinéastes marocains, Mohamed Osfour, accompagnée d’une photo prise sur le tournage de son film «La Jungle», en plus d’une fiche d’hôtel signée caïd Ayyadi, qui avait l’habitude de réserver dans la chambre « 253 » de l’hôtel Balima… «Il n’y eut pas que des écrivains à fréquenter l’hôtel Balima», renchérit M. Zarhaoui, «bien des gens de l’autorité, dont le caïd Ayyadi, qui gouvernait la région du sud sous le Protectorat, se rendaient régulièrement chez nous», ajoute-t-il, nostalgique. Plus nostalgique encore, est L’Houcine Al Asri, qui se prépare à prendre sa retraite, vingt ans après de loyaux services à Balima. Il dit garder un souvenir affectueux du gotha d’artistes et d’écrivains qu’il affirme avoir eu le privilège de servir par le passé. «Je me rappelle les débuts de Latifa Raâfat, quand elle a quitté sa ville natale Kénitra pour venir s’installer à Rabat. Elle venait en compagnie de plusieurs compositeurs tels que Moulay Ahmed Al Alaoui.
Du temps où je l’ai vue, elle était encore une petite fille. Elle fredonnait ses premiers airs avec sa voix de velours, sous le regard admiratif de ses parrains. Je ne savais pas qu’elle allait devenir ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire une grande star de la chanson marocaine», pense-t-il. Ses collègues, moins anciens que lui, ne savaient pas non plus que d’autres habitués du café de l’hôtel Balima pouvaient devenir des célébrités. Hassan. M, la cinquantaine, connaît sur le bout des doigts le cénacle qui a fait la légende des arts et des lettres au Maroc. M. Choukri, Mohamed Zef-Zaf, Driss El Khouri, Boujmiî, son compagnon de route Larbi Batma, et bien d’autres écrivains et artistes y sont tous passés par là. Traces vivantes de personnalités très peu ordinaires, pour qui le café de l’hôtel Balima fut le lieu privilégié pour rêver, se passionner, imaginer, réfléchir… Au-delà des écrivains, et autres artistes, cet hôtel, l’un des premiers édifices modernes de Rabat, fut le point de repère de l’intelligentsia marocaine et étrangère. Au-delà des écrivains, et autres artistes, «les députés, et même des ministres, s’y donnaient rendez-vous. Une pause-café s’imposait à l’hôtel Balima, avant le début des séances parlementaires», explique Hassan. M.
Mais voilà, les temps ont changé. La clientèle aussi. Pour Hassan. M, comme pour le reste des anciens serveurs, «il n’y a plus le même respect que leur témoignaient les clients du bon vieux temps». «Dans le passé,  se souvient M. El Asri, on n’avait jamais entendu un seul mot déplacé. Plus encore, les débats tournaient autour de sujets intéressants, auxquels on n’hésitait pas à prendre part. Nous avions affaire à une clientèle qui nous traitait correctement, avec classe et avec beaucoup de générosité. Mais aujourd’hui, sauf exception, le débat est tombé si bas. En plus, parfois, on est obligé de payer de nos propres poches les escapades de mauvais clients», déplore Hassan. M. «Depuis quelque temps, plusieurs personnalités du monde de la politique, de l’écriture et de l’art n’osent pas remettre les pieds chez nous, l’image du café de l’hôtel Balima a pris un sacré coup d’estocade», regrette Hassan. M, ajoutant que «nos vrais clients préfèrent aujourd’hui fréquenter le café du 7ème Art ».
En effet, ce café, qui se trouve en face du cinéma baptisé du même nom, draine depuis peu le gotha de l’intelligentsia r’batie, des artistes entre autres. La clientèle du 7ème Art est constituée notamment de gens de théâtre, sans oublier les nombreux cinéphiles qui viennent siroter leur café avant de regarder un film. On en compte aussi des couples, des familles, qui s’y rendent sans se soucier des regards indiscrets. Pour l’hôtel Balima, il n’a plus le même éclat d’antan.

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