Culture

Le prix de l’audace

© D.R

«Osez !», disait Saint-Just. Lorsque l’audace est doublée d’une persévérance germanique, elle triomphe. Rien ne destinait un obscur réalisateur à filmer l’une des oeuvres les plus monumentales du 20e siècle. Wolfram Hissen a été impressionné par une oeuvre emballée des artistes Christo et Jeanne Claude. Il l’a vue, alors qu’il était âgé de 10 ans. Il l’a appréciée à la manière d’un enfant qui entre en religion devant un gigantesque bonbon emballé. Le bonbon en question était un édifice d’une taille monumentale : la maison d’Amérique à Heidelberg. Des années plus tard, Hissen devient correspondant d’une chaîne étrangère à Paris. En 1985, il apprend que les Christo projettent d’empaqueter le Pont Neuf et les appelle pour filmer de A jusqu’à Z cette fabuleuse aventure. Jeanne Claude, la femme de Christo, s’étonne de cette initiative. La réalisation du film est déjà confiée à des noms “très célèbres“du cinéma. Elle invite toutefois le jeune inconnu à réaliser un reportage de quelques minutes. L’Allemand se saisit de cette opportunité et son reportage connaît une belle réussite dans les chaînes de télévision européennes. Six ans plus tard, Wolfram Hissen appelle une fois encore Jeanne Claude. “Je veux faire le film de la dispersion de parasols de part et d’autre du Pacifique“. “Mais le film est confié à des réalisateurs qui ont obtenu des Oscars !“, lui répond la femme de Christo. Elle l’autorise toutefois à faire un reportage plus long que le premier. Le film de 15 mn de Hissen triomphe dans les chaînes de télévision et réalise un audimat de 50 millions de spectateurs. Et puis, vient la troisième tentative; la bonne. Hissen est informé que l’empaquetage du Reichstag pourrait être, enfin, autorisé. Il appelle encore Jeanne Claude qui lui répond : “nous n’avons pas d’argent pour faire un film“.Wolfram Hissen la rassure tout de suite, sans savoir dans quelle aventure financière il s’empêtrait. Et c’est ainsi que le jeune réalisateur allemand, né en 1961, a obtenu l’autorisation de réaliser le film le plus important sur Christo et Jeanne Claude. Il l’a fait en compagnie de son frère Jörg Daniel. “Le Reichstag empaqueté“ (52 mn) est bien plus qu’un documentaire. Il tient si bien en haleine les spectateurs qu’il rappelle les films de cinéma. Il faut dire que l’histoire de l’empaquetage de l’édifice, qui constituait le siège du Parlement allemand jusqu’en 1933, est truffée de péripéties. Christo, né en Bulgarie, a fui vers l’Ouest en 1957. Il est très sensible aux déplacements des populations européennes pendant la guerre froide. Il a conçu d’emballer en 1971 le Reichstag qui domine le mur de Berlin. Annoncé officiellement en 1976, le projet a essuyé trois refus, en 1977, 1981 et 1987, avant que le Parlement allemand ne se prononce à son sujet en 1994. Le film des Hissen commence avec la chute du mur de Berlin en 1989. “Ce ne sont pas des images d’archive“, explique à ALM Wolfram Hissen. “Nous filmons tout ce qui nous intéresse sans savoir où aller. Nous savions qu’il se passait une chose importante à Berlin en 1989. Nous sommes partis avec nos caméras, sans penser que les images nous serviraient pour le film sur le Reichstag“, ajoute Wolfram Hissen. Les étapes qui ont précédé le vote au Parlement allemand ont été filmées. L’issue incertaine de ce vote, également. Et puis, les préparatifs gigantesques pour fabriquer le tissu qui allait envelopper le monument. L’entraînement des escaladeurs qui allaient dérouler les pans de tissu sur les murs du Reichstag… Sans parler des coulisses de la vie du couple. La manière dont Christo et Jeanne Claude procèdent pour financer leurs réalisations aussi monumentales qu’éphémères a été filmée. Ils vendent les dessins qui préparent la réalisation de l’oeuvre. Un collectionneur négocie avec eux l’achat de deux dessins, et les obtient moyennant 600 000 dollars. Le documentaire se termine avec l’emballage du Reichstag qui a attiré 5 millions de visiteurs en 15 jours, avant qu’il ne soit remis à son apparence coutumière. La présence de Wolfram Hissen à Casablanca a aussi instruit le public sur un détail qui a son importance. Jeanne Claude est née à Casablanca et garde une grande affection pour cette ville. “Et si on lui proposait d’emballer la cathédrale de Casablanca ?“ “D’habitude, Christo et sa femme décident eux-mêmes de l’endroit à emballer, mais il n’est pas défendu de leur envoyer une carte postale représentant la cathédrale“, répond le réalisateur allemand. L’appel est donc lancé pour rêver à une oeuvre de Christo au Maroc.

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