Culture

Le succès d’un CD anonyme

© D.R

Il circule sous le manteau. On se l’arrache. L’engouement qu’il suscite auprès des jeunes est sans égal. «Aoud el lil», «Rao dao» ou encore «Farfour» est le nom qu’on lui donne. Il s’agit d’un CD, composé de six chansons, vendu entre 20 et 30 DH. Le prix de vente ne profite ni aux distributeurs, ni aux auteurs. Le commerce de «Aoud el lil» est informel, non pas parce qu’il est piraté, mais parce qu’il a été conçu pour évoluer dans des circuits hors-la-loi. «L’album» a été d’emblée mis en ligne, et les internautes marocains n’ont pas tardé à en prendre connaissance et à lui assurer une redoutable publicité. Téléchargées d’Internet, les six chansons ont été ensuite gravées sur des CD et connaissent, aujourd’hui, un succès auquel la non-identification de leurs auteurs contribue amplement. «L’album» n’est pas signé ! Ses auteurs sont anonymes ! Les hypothèses au sujet de leur identité sont nombreuses. La plus insistante se rapporte à des étudiants marocains inscrits à l’Ecole Polytechnique en France et à la Centrale de Paris. «Je suis sûre de l’identité des chanteurs. Je suis l’une des premières personnes au Maroc à avoir pris connaissance de “Farfour” et celui qui me l’a amené, connais personnellement ses auteurs qui sont des étudiants marocains à l’Ecole Polytechnique de Paris», précise Fadwa, une inconditionnelle de «Aoud el lil». D’autres fans assurent que les trois chanteurs de l’album vivent aux USA. «Ceux qui pensent que les musiciens de “Rao Dao” sont des zmagrias se fourrent le doigt dans l’oeil. Leur parler est purement casablancais, et pour connaître les mots qu’ils utilisent, il faut non seulement être un fils du pays, mais avoir passé beaucoup de temps dans la rue», affirme de son côté Hicham, un autre passionné du groupe. Le langage évoqué par ce fan peut être une raison suffisante pour ne pas proclamer des droits d’auteur sur l’album. La crudité des mots est telle qu’elle peut choquer plusieurs personnes. Pas de périphrases, ni de circonlocutions, le champ lexical se rapportant aux pratiques sexuelles est exploité tel quel. La prostitution, la drogue, l’homosexualité sont les thèmes favoris des trois chanteurs anonymes. Ils ne forcent pas la dose, mais parlent le marocain de la rue. Ce langage choque non seulement par l’utilisation des mots, mais par quelques métaphores, pourtant répandues. «Tu es devenue un fromage auquel tout le monde a goûté», est l’une des rares expressions utilisées dans l’album et qui peuvent être reproduites sans heurter des sensibilités. L’audace langagière des auteurs anonymes constitue pourtant le principal mérite des six chansons qui circulent clandestinement. Alors que dans de nombreux pays, les mots ne souffrent pas de discrimination dans des expressions artistiques, ici tout un registre du marocain est qualifié de «vulgaire», et l’on y touche avec beaucoup de précautions rhétoriques. Le curieux, c’est que des synonymes français de mots marocains, frappés d’ignominie, sont utilisés sans façon par ceux-là mêmes qui se refusent de les employer dans leur langue maternelle ! Les auteurs de «Aoud el lil» brisent dans ce sens un tabou, en mettant les mains à la pâte. Musicalement, leurs chansons participent du rap. Le genre, tel qu’il s’est développé aux Etats-Unis et en France, repose sur la violence du langage de la rue. Les trois Marocains utilisent une boîte à rythme pour l’accompagnement musical. Un sampler isole une séquence musicale, répétée du début jusqu’à la fin. On peut apprécier le résultat ou non, mais il est difficile de ne pas s’étonner devant la nouveauté du langage des auteurs. S’ils ont choisi l’anonymat comme moyen de marketing, ils ont réussi une percée foudroyante. Maintenant, il est temps qu’ils se démasquent pour révéler leur identité.

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