Culture

L’église effacée

L’histoire de ce complexe culturel est saisissante. A l’origine, il s’agit d’une église. L’une des mieux fréquentées à Rabat du temps où les Espagnols peuplaient le quartier l’Océan. Un lieu de culte n’est rien sans les personnes qui y croient. Une fois que les Espagnols sont rentrés chez eux, l’église Saint Joseph s’est transformée en immenses murs sans âme. Une superficie de 1450 m2 sans vie. Elle est également devenue une lourde charge pour l’Evêché de Rabat qui ne l’a pas vendue, mais cédée gratuitement au gouverneur de Rabat-Salé en 1972.
L’édifice a été remis à Brahim Frej sous les seules conditions que son «utilisation par la ville de Rabat soit à des fins culturelles ou sociales» et que l’on supprime «la croix et les fresques religieuses qui ornent certains des murs intérieurs de l’église» comme le précise le protocole d’accord signé entre le gouverneur et l’Evêché de Rabat en 1972. De cette date à 1987, cette église a été laissée à l’abandon. Puis, la Wilaya de Rabat-Salé a décidé de la transformer, enfin, en complexe socioculturel. Le Wali de l’époque confie le projet du réaménagement de l’église à l’architecte Driss Chiguer. « ça a été très difficile. Les travaux ont commencé en 1992. Il nous fallait renforcer les structures et les fondations avant de commencer quoi que ce soit » nous confie cet architecte. Très de peu de temps après, le maître d’ouvrage n’est plus la Wilaya de Rabat-Salé, mais la Commune de Rabat-Hassan. «Nous avons hérité de ce projet en 1992 » dit Driss El Amrani, vice-président de cette commune dirigée par les socialistes de l’USFP depuis cette date-là. «La nouvelle équipe a constaté que les travaux ne correspondaient pas aux normes en vigueur», nous précise Driss El Amrani. Elle est obligée de faire appel à un Bureau d’études pour accompagner les travaux de l’architecte. Mais elle ne peut rien contre ce dernier, en possession d’un contrat qui le met définitivement à l’abri toute contestation. L’un de ses confrères, Mourad Ben Embarek, tire la sonnette d’alarme en 1994. En sa qualité d’Inspecteur de l’Urbanisme de la région du Nord-Ouest, il adresse un rapport très virulent au Ministère de l’Intérieur pour l’informer que l’architecture de l’édifice « défigure » le quartier. Il emploie dans ce rapport des mots très durs pour qualifier la transformation de l’église: hideur, scandale.
Aujourd’hui, l’architecte Mourad Ben Embarek n’a pas changé d’avis. «Je ne renie pas ce texte» dit-il. «Personne n’a le droit de transformer un édifice d’une manière inesthétique» insiste-t-il. Il dit qu’il fallait garder à l’église de l’Océan sa dignité et non pas la dénaturer. Il impute cela à «un manque de sensibilité, d’émotion, de culture et de respect envers ce que les autres ont construit ». La colère de cet architecte s’explique par plusieurs facteurs.
De l’extérieur, l’édifice ressemble à une chose hybride. Il tient autant du bâtiment administratif que de l’église. Les lucarnes ont été transformées en fenêtres qui rappellent celles des arrondissements urbains. Des ouvertures ont été ajoutées en bas de l’édifice pour éclairer le sous-sol. Leur présence est inesthétique. En plus, le bâtiment est étouffé par les immeubles qui le jouxtent. Il heurte l’oeil comme un tableau du Moyen-Age – sans perspective. Il n’existe pas de surcroît de parking. On pourrait croire que l’évêché de Rabat va s’indigner de ces transformations. Pas du tout ! Le père André Joguet nous a dit : «elle n’a pas tout de même été transformée en night-club !»
L’intérieur de l’édifice dispense peut-être quelques consolations comme la salle de spectacle accueillant 490 places. Elle intègre bien la coupole et les arcades. Elle est également dotée d’un équipement moderne, mais la pente de son balcon est raide, trop raide.
Plusieurs personnes s’y sentiront mal en cherchant leur place. Le sous-sol est quant à lui équipé de deux immenses salles, 300 m2 chacune, deux innovations qui surprennent agréablement dans ce complexe. L’une est réservée aux arts martiaux, l’autre à la danse contemporaine. Il existe aussi des galeries d’expositions et 15 salles. Chacune d’elles sera réservée à la formation ou à l’étude. En théâtre, en arts plastiques, en musique et en mathématique. C’est ainsi que l’on peut énumérer les principaux attraits de ce nouveau complexe culturel. Maintenant qu’il est construit, et que ses travaux ont nécessité un budget global de 20 millions de DH, il reste à ceux qui en ont hérité de faire oublier les défauts de construction par une programmation de qualité. Seule une administration professionnelle de cet édifice peut en faire un pôle culturel important, parce qu’il ne faudrait pas s’illusionner en espérant que son architecture attire des admirateurs.

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