Culture

L’enfance de l’art

Dominica Sanchez cherche l’effet de matière dans un tableau. Elle travaille la toile avec une telle rage qu’elle ressemble à une terre labourée, à un mur vieilli, à une surface lunaire vue au microscope. Les toiles sont froissées, fissurées, avec des sillons qui les creusent, les rendent tactiles, attestant que l’appropriation d’un tableau est autant une affaire de mains que d’yeux. Elle joue beaucoup sur la dégradation des tons. Sa palette est souvent réduite au noir, au gris et au marron. Outre ce travail sur la matière, Sanchez dessine une forme minimale, une géométrie parfaite, un verre ou un cube, qu’elle estompe par la suite par des couches de peinture superposées. Les formes originales évoquent des palimpsestes ou de vieux manuscrits en peau.
Dominica cherche l’organique dans la peinture, l’aspect tellurien, avec des grains, des cratères, des crevasses, du sable séché. Une peinture volontairement vieillie pour être à l’unisson d’une terre qui a subi l’épreuve du temps. Et puis, il y a la ligne noire qui donne de la tension, innerve le tableau. Cette ligne est la marque distinctive de son travail. Elle rend ses tableaux vivants, des tableaux qui interpellent l’oeil, obligent le spectateur à s’y arrêter en le submergeant de leur être-là.
Dominica Sanchez, peintre d’abord de sous-bois aux arbres en fusées de sève, puis peintre des gravitations et des cataclysmes chtoniens. Sanchez se fait ensuite observatrice du travail qui s’accomplit dans le milieu souterrain, cycle de mort et de résurrection s’il faut, pour que le germe pousse, pour que la corruption des matières manifeste la naissance de la peinture. De tels voyages à travers les couches hautes et basses, de tels passages du tourbillon sidéral au remuement des êtres infimes, de la terre que l’artiste prend au piège du télescope, font partie de l’itinéraire qui permet de toucher autant du doigt que l’oeil le mystère de la peinture.
Antoni Camarasa est quant à lui près de l’enfance de l’art. Ce peintre autodidacte semble peu se préoccuper des querelles sur l’art contemporain. Il fait son chemin pour que la peinture ne cesse d’entretenir des rapports avec le merveilleux de l’enfance. Walt Disney et Alice au pays des merveilles semblent être les références de ce peintre. Il peint des chiens, des poules, des ânes, des chèvres et des sangliers. Toutes ces créatures semblent être sorties de l’imagination d’un enfant ou d’un auteur de dessins animés. Rien à expliquer quant à cette peinture, qui elle-même n’explique rien. Il faut insister sur son caractère rutilant comme un jouet neuf. Camarasa semble vouloir réveiller l’enfant dans l’adulte. C’est un créateur de gadgets pour adultes. Au demeurant, si l’on cherche un mouvement dans une musique pour qualifier la peinture de Camarasa, c’est probablement l’allegro qui s’impose. Magie blanche qui rompt avec tant de magies noires des temps modernes, et qui ajoute de la féerie dans une vie de plus en plus avare en merveilleux. Ainsi ce tableau où l’on voit une fourmi déguisée en soldat. Elle porte une casquette et une robe blanche et tient un fusil contre son épaule. La peinture de Camarasa est à placer sous le signe d’une fraîcheur candide. Art tout de spontanéité, art sensible, art ouvert. Grâce à cette candeur retrouvée, le spectateur retrouvera un bout de son enfance.
On peut toutefois émettre deux réserves sur cette exposition. La première a trait à la date des oeuvres exposées. Nombre de tableaux ont été peints en 1980, ce qui ne permet pas de se faire une idée juste sur le travail des peintres. L’autre réserve a trait aux similitudes trop marquées entre la peinture de Dominica Sanchez et celle d’Antoni Tapiès et les tableaux de Camarasa avec ceux de Joan Miro. De ce point de vue-là, ces tableaux ne nous apprennent rien que l’on n’a déjà vu chez Tapiès ou Miro.

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