Culture

Les pêcheurs d’Asilah au creux de la vague

© D.R

Il est 16 h. Ce mardi, au port d’Asilah, quelques barques de pêcheurs rentrent après de longues heures passées en haute mer. Raïs M’Ghayit Khachiba est le premier à accoster son petit bateau. La pêche n’est pas bonne, Raïs Khachiba et son compagnon débarquent cette journée avec quelques kilos de poisson au fond d’un grand bassin. Et comme les autres marins pêcheurs, ils n’ ont pas à se plaindre et considèrent cette année comme bénéfique. «Nous arrêtons d’habitude nos activités au mois d’octobre et nous ne les reprenons qu’en mars. Car nous ne pouvons pas sortir en mer en hiver qui est considéré pour les marins à travers le monde comme une période de haute saison. Depuis la construction du port il y a plus d’une vingtaine d’années, 29 pêcheurs ont perdu la vie en tentant de traverser le chenal qui continue de constituer un point noir», regrette Raïss Abdeslam Bouharat, 66 ans, et qui exerce le métier de marin pêcheur depuis plus de 45 ans.
Considérée pendant longtemps comme la ville de pêcheurs, Asilah est entourée quasiment par la mer. La pêche qui continue de faire sa renommée demeure une source de revenu pour plusieurs centaines de familles zaïlachies. «Chaque week-end, nous vivons au port une ambiance de foires. Un grand nombre d’habitants des villes avoisinantes viennent au petit marché du port pour acheter notre poisson réputé par sa fraîcheur et ses bas prix. Ils peuvent y trouver toutes sortes de poisson, les plus prisés comme le merlan, le mérou, le sole et la langouste», affirme avec fierté Raïss Abdeslam. Bien que les conditions de travail soient très dures, les pêcheurs continuent de travailler à un âge avancé.
Ils se disent très amoureux de la mer et de leur métier. Comme c’est le cas pour les deux Raïss Driss Dergoul et Abdeslam Bouharat, qui ont travaillé tous les deux pendant leur jeunesse à la Madrague. Celle- ci était jusqu’aux années 60 une propriété d’une société espagnole. «Nous travaillions avec des Espagnols et nous touchions à l’époque 750 francs. Ce qui nous permettait de mener une belle vie. Lorsque la Madrague a arrêté ses activités, j’ai décidé de rester dans le même métier et j’ai réussi à obtenir mon permis de pêche sur mon petit bateau «Dos Amigos». Il y avait en ce moment sept barques de pêche artisanale et une seule pour la pêche côtière baptisée «Marie Lole» qui fut la propriété d’un Espagnol», se souvient Raïss Abdeslam.
La ville d’Asilah est toujours connue par la pêche artisanale. Pour les professionnels, le secteur a connu dernièrement une chute concernant sa flotte locale. Il compte une douzaine de bateaux côtiers et 127 barques dédiées à la pêche artisanale. «Devant l’absence d’une infrastructure portuaire de base et d’une aide de l’Etat aux pêcheurs et armateurs, ces derniers se voient contraints de vendre leurs barques et se convertir dans d’autres activités», explique le président de l’Association des pêcheurs et armateurs de la pêche artisanale à Asilah, Zoubeir Bensaâdoun. Les armateurs, surtout ceux de la pêche côtière, souffrent aussi d’une diminution de la main-d’œuvre qualifiée. Selon ces professionnels, ce secteur n’attire plus les jeunes. «Il n’est pas, à leurs yeux, un métier d’avenir. Ils préfèrent rester au chômage et passer leur temps aux cafés à apprendre les mauvaises habitudes comme la drogue au lieu de s’adonner à cette activité maritime», regrette M. Dergoul. La majorité des jeunes qui pratiquent la pêche ont hérité leur métier de leurs parents. «Ce secteur est en mesure de créer plus d’emplois et générer davantage de revenus si l’on restructure le port de la ville», assure Raïss Abdeslam.
Pour faire face aux difficultés dont souffre le secteur, la solidarité demeure le seul recours pour les professionnels. Ils déplorent l’état de construction du port. Alors que ce complexe portuaire a été créé et mis en service au milieu des années 80. Les pêcheurs manquent presque de tout et ne disposent pas d’une salle frigorifique ni d’une usine à glace. «Nous souffrons également du manque d’un véritable bassin de radoubage pour la réparation et le carénage des bateaux. Et c’est grâce aux efforts des professionnels que le port s’est doté dernièrement d’une petite station-service, mais celle- ci n’est pas encore opérationnelle. Nous sommes contraints d’acheter le gasoil de l’extérieur qui nous revient très cher avec les frais de transport. Nous avons exprimé nos doléances aux responsables, mais en vain. Nous avons décidé, en signe de protestation, d’arrêter nos activités à l’intérieur de la halle», déplore M. Bensaâdoun. Pour pêcher en toute sécurité, «le chenal d’entrée doit être dragué annuellement pour éviter le sort tragique d’autres pêcheurs morts dans cet endroit. La pêche artisanale est la plus touchée, puisque pour gagner leur pain quotidien, les pêcheurs risquent leur vie ainsi que leurs biens», souligne Raïss Abdeslam. Et de souligner que «le port dispose, depuis quelques années, d’un engin de sauvetage qui n’a jamais fonctionné. Il est devenu rouillé et encombrant».
En plus du manque d’infrastructures portuaires, les pêcheurs zaïlachis dénoncent la reprise de la pêche du corail à Asilah, interdite depuis cinq ans. «Celle-ci constitue un danger pour l’environnement et nos ressources maritimes à l’avenir. Nous sommes aussi contre les mauvaises pratiques des palangriers qui viennent d’autres régions pour pêcher dans nos eaux. Ils abiment nos filets et constituent une menace pour les poissons juvéniles. Nous avons organisé, vendredi 14 novembre, un sit-in de protestation devant le siège de la sous-délégation des pêches maritimes à Asilah», conclut M. Bensaadoun. Les professionnels sont conscients, qu’avec des conditions de travail pareilles, leur combat ne fait que commencer.

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