Culture

Les thérapies alternatives ont le vent en poupe

© D.R

Wafa Mezouar est une artiste-peintre chevronnée qui vient d’ouvrir à Casablanca un atelier d’art thérapie. Elle plaide avec conviction pour l’efficacité de sa discipline qui peut, affirme-t-elle, faire énormément de bien aux gens qui souffrent. Sa première expérience en la matière remonte à 1999. Elle avait ouvert, dans une galerie marchande du Maarif, un atelier destiné aux enfants, parmi lesquels certains atteints d’autisme ou de trisomie. Mais comme elle se souciait davantage du bonheur des enfants que de la rentabilité de son atelier, elle fut bientôt contrainte de fermer. Elle reviendra à la charge deux ans plus tard, en proposant aux responsables de l’animation de la Villa des Arts, à Casablanca, un atelier du même genre. Elle y recevra, en même temps que des enfants normaux, d’autres souffrant de maladies mentales ou génétiques ainsi que des enfants en grande difficulté sociale, pris en charge par des associations telles qu’Anaïs, l’Heure Joyeuse ou Bayti.
Les craintes qui l’animent au moment d’aborder la première séance s’évanouissent à l’issue de celle-ci. Elle voit ces enfants pas comme les autres s’épanouir et finir par travailler comme leurs camarades bien portants, mieux parfois. Elle comprend à quel point l’expression artistique peut être bénéfique, surtout lorsque l’on s’interdit de reproduire le modèle autoritaire voire répressif de certains moniteurs spécialisés. Sa conviction ne fait que se renforcer lorsqu’elle fait la connaissance d’une spécialiste française en la matière, qui vient valider sa pratique somme toute empirique et lui ouvre la voie d’une formation appropriée : Wafa Mezouar ira passer six mois de stage à Toulouse, suivis d’un séjour aux états-unis. Elle découvre ainsi l’univers des établissements psychiatriques et des maisons de retraite, autant d’établissements où l’art thérapie est d’un grand secours.
De retour au Maroc, elle décide d’ouvrir son atelier de peintre à tous ceux qui, dans son entourage, lui paraissent avoir besoin de cette thérapie. Telle cette jeune fille de dix-huit ans, dépressive au point d’en être suicidaire, qu’elle verra petit à petit renaître à la joie de vivre et de créer.
Aujourd’hui, elle souhaite la bienvenue aux  personnes atteintes de graves maladies, aux retraités désœuvrés, aux dépressifs, consciente toutefois des limites de cette thérapie et surtout des risques que présente le fait de prendre en charge des personnes dont les cas relèvent de la médecine traditionnelle. Elle avoue d’ailleurs n’être pas certaine d’avoir la force de «traiter» certains cas critiques. Mais elle demeure persuadée que le bonheur qu’il y a à créer, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de modelage ou de collage, peut entraîner des effets extrêmement bénéfiques pour l’organisme : non seulement l’expression graphique ou plastique permet à ceux qui n’ont pas accès au langage de se faire «entendre», mais la science, notamment la psycho-neuro-immunologie, a donné la preuve d’une réelle influence de la pensée et des émotions positives sur la santé.
Pour sa part, le docteur Mohamed Khalil, spécialiste en acupuncture, propose à ses patients de vérifier l’efficacité des principes fondateurs de la médecine chinoise traditionnelle. Le docteur Khalil raconte volontiers aux plus curieux de ses visiteurs comment il a été amené à étudier la médecine en Chine. En 1978, alors qu’il étudiait la biologie à Rabat, il apprend que des bourses d’études pour l’étranger sont disponibles au titre de la coopération bilatérale avec un certain nombre de pays. Lorsqu’il se présente, il ne reste que le Soudan, l’Arabie Séoudite et la Chine. Il choisit la Chine, passe l’examen et lorsque les résultats sont communiqués, il découvre que la bourse correspond à des études de médecine. Son goût pour les voyages au bout du monde, mais aussi la réputation d’efficacité des acupuncteurs chinois récemment installés dans la région de Settat, l’ont encouragé à partir en Chine.
De retour au Maroc après 8 ans d’études, dont une année de spécialité en médecine traditionnelle chinoise, il est tout d’abord affecté à l’hôpital militaire de Rabat au titre du service militaire. Puis, en 1989, il ouvre son cabinet à Casablanca.
«L’acupuncture, explique-t-il, permet de rétablir l’équilibre énergétique de l’organisme et de susciter des réactions bénéfiques. Sachant que le corps humain est naturellement en mesure de se défendre, de se stimuler et de s’apaiser, par exemple en produisant lui-même de la morphine».
Quant à l’efficacité de cette technique, elle dépend évidemment du type de maladie : fonctionnelle, lorsque l’organe concerné est sain, qu’il n’est ni atteint ni infecté, mais qu’il fonctionne mal, l’asthme et la rhinite allergique par exemple mais aussi la stérilité ou les dysfonctionnements érectiles féminine; organique, lorsque la maladie est due à une inflammation ou à une ulcération.
Dans le premier cas, l’acupuncture est souveraine. Dans le second,  elle joue un rôle d’appoint non négligeable, aboutissant à diminuer le besoin en médicaments et à accélérer la guérison.
Quant aux cas d’infection, le docteur Khalil s’empresse de souligner que rien ne remplace les antibiotiques mais que l’acupuncture employée en complément peut aider l’organisme à stimuler ses défenses immunitaires. En précisant que la médecine traditionnelle chinoise ne se limite pas à l’acupuncture mais englobe également la phytothérapie, les massages, la moxibustion, la scarification, l’apposition de ventouses, la diététique et la gymnastique énergétique, le fameux Taï Chi.
Restons à Casablanca pour faire la connaissance de Blaise Lorca, fasciapulsologue. Autrement dit, l’art de traiter la souffrance par l’action sur le tissu conjonctif, également dénommé «fascia». Blaise Lorca commence par expliquer les fonctions du fascia, ce tissu révélé  notamment chez les mammifères, lors de l’écorchage : maintien de forme, alimentation, élimination des déchets et cohérence générale du corps. Quanq on subit un traumatisme, qu’il soit physique (coup), physiologique (intoxication) ou psychologique (forte émotion), le fascia se durcit, perd de sa fluidité et se rétracte. Le tissu étant altéré, les fonctions sont moins bien assurées.
L’art du fasciapulsologue consiste en une écoute tactile du corps, par le biais de la sensibilité des mains apposées sur l’organisme. Le praticien a ainsi la capacité de «sentir» la densité de l’organe caractérisé par son fascia. À la différence de la kinésithérapie, qui traite le corps humain sous l’angle de ses articulations mécaniques, la fasciapulsologie n’aborde pas la personne souffrante par la volonté de guérir mais par la disposition à écouter l’état d’un tissu quasi organique. Et c’est la qualité de cette écoute qui déclenche le soulagement, l’apaisement, la disparition des tensions, des altérations du fascia.
La particularité de cette thérapie réside donc, selon Blaise Lorca, dans le fait que le traitement s’opère par le biais de l’écoute tactile mais avec cette réserve que le corps ne «lâche» ou ne «libère» que ce qu’il peut. Il y a ainsi, de la part du praticien, une forme de respect à l’égard du corps et de ses organes.
Ce praticien présente la fasciapulsologie comme un complément à la médecine. Blaise Lorca réfute au passage les termes de médecine douce – ce qui implique qu’il existerait des médecines dures – et celle de médecine alternative – ce qui implique qu’il faille faire un choix- mais parle de son art comme d’une thérapie, «un médicament de plus mis à la disposition des médecins». Il travaille d’ailleurs en partenariat avec une diabétologue diététicienne homéopathe casablancaise.
Comment devient-on fasciapulsologue ? Âgé de 34 ans, Blaise Lorca explique qu’après une formation en pédagogie, il s’est tourné vers la méditation, a pratiqué le yoga pendant dix ans avant de faire le tour de tous les thérapeutes non conventionnels, naturopathes, ostéopathes, kinésithérapeutes jusqu’à sa rencontre avec un fasciapulsologue. Sa formation à cette technique lui a pris 3 ans, autant qu’il en faut pour devenir infirmier, suivis de deux années de perfectionnement. Au total, des centaines d’heures de frustration à ne rien sentir avant de percevoir enfin le premier signe en provenance du tissu conjonctif.
En activité depuis le mois de juillet dernier à Casablanca, il compte sur la bouche à oreille pour se faire une clientèle. Mais également sur Internet, où lui et ses amis, d’autres adeptes de médecines différentes, ont créé un site, un blog plus précisément, où praticiens et amateurs éclairés peuvent échanger des informations et des conseils pratiques. Un site très fréquenté par Nadia Aïouch, pharmacienne spécialisée en herboristerie.
Cette dernière commence par rappeler ce que la pharmacie doit aux plantes, en soulignant que toutes les civilisations ont développé un savoir spécifique en matière de pharmacopée naturelle. Sauf que de nos jours, les pharmaciens ont fini par phagocyter la formation en herboristerie, dont le diplôme n’existe plus en France depuis la fin des années quarante.
Nadia Aïouch précise d’ailleurs que lorsqu’elle a voulu s’installer en tant qu’herboriste sur la base de son diplôme de pharmacienne, elle a dû obtenir l’autorisation spéciale du secrétariat général du gouvernement pour avoir le droit de n’exercer que l’herboristerie.
Sa clientèle : en majorité des femmes, et en général les adeptes de ce qu’elle qualifie, elle, de médecines alternatives. Ceux qui, par choix de vie ou par fragilité physiologique, préfèrent recourir aux plantes et à leurs vertus. Par exemple, les personnes qui préfèrent consommer de l’acide acétylsalicylique, le principe actif de l’aspirine, en la puisant directement dans la reine des prés ou dans la saule, deux plantes qui contiennent naturellement cet acide.
Mais cela ne veut pas dire, avertit Nadia Aïouch, que les produits naturels ne sont pas sans danger : «Les dosages doivent être parfaitement maîtrisés car c’est la dose qui fait le poison… » Sans oublier, précise-t-elle, les risques d’interaction avec les médicaments de synthèse.
Quant à ses relations avec les médecins, il y a les adeptes des médecines alternatives et ceux qui s’y intéressent  à la demande de leurs patients : il lui arrive régulièrement d’ailleurs de les recevoir dans le cadre de séances d’initiation. Nadia Aïouch déplore en conclusion que le cursus médical ne prévoie pas de formation en phytothérapie. Prendre en charge la souffrance des gens passe également par des voies non thérapeutiques. C’est le domaine de Rachida Serghini, consultante et coach certifiée, qui s’apprête à retrouver ses clients dans une salle de conférence du quartier Racine à Casablanca. Il s’agit d’une dizaine de cadres d’une grande entreprise du secteur tertiaire auxquels leur direction a offert un séminaire de gestion du stress, cette maladie des temps modernes.
De formation pluridisciplinaire, retraitée de l’éducation nationale, ex-professeur de philosophie, Rachida Serghini s’est très tôt recyclée dans la psychopédagogie et la formation des formateurs. Son combat : réparer les défaillances du système éducatif. Elle travaille à développer l’autonomisation et la responsabilisation, elle aide en fait à «savoir à apprendre». La finalité de l’accompagnement qu’elle propose à ses clients est de les aider à trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes, à découvrir leurs ressources. Pour ce faire, elle dispose dans sa palette d’un outil pour le moins original : elle pratique l’hypnose, selon la méthode de l’américain Milton Erickson, ce qui lui permet de «débloquer les ressources d’une personne qui n’y parvient pas consciemment». Il faut savoir que l’hypnose permet également, en milieu hospitalier, d’anesthésier les personnes qui ne supportent pas les produits anesthésiants et que cette technique est également très efficace dans les affections psychosomatiques ou dans la guérison des addictions : pour arrêter de fumer, par exemple, rien ne vaut, parait-il, une discussion «entre quatre yeux» avec son inconscient… Pour autant, insiste Rachida Serghini, le coaching ne constitue pas une thérapie mais un accompagnement. Il demeure que la souffrance occasionnée à un individu par la pression de son environnement est abordée par ses soins sous un angle particulier. Rachida Serghini aide les personnes qu’elle coache à mieux comprendre les ressorts de leur fonctionnement pour les aider à mieux vivre les situations de leur vie professionnelle et ainsi réduire, jusqu’à les faire disparaître, leur stress facteur de souffrance.
Il s’agit en dernière analyse d’aider les gens à retrouver confiance en eux, dans des univers où les valeurs matérielles conduisent à nier en le facteur humain, alors que, souligne Rachida Sergini, les valeurs les plus précieuses et les plus épanouissantes sont tout sauf matérielles.

L’avis du Conseil de l’Ordre des Médecins
Le docteur Abdelouahed Anbary, généraliste, président du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Casablanca, n’a rien a priori contre les médecines alternatives, qu’il s’agisse de se soigner par les plantes ou par les techniques de respiration, mais il avoue son désarroi face à la prolifération des charlatans.
Dans l’herboristerie par exemple, dont il ne comprend pas qu’autant de pseudo spécialistes se croient permis de promettre tout et n’importe quoi à des gens prêts à gober n’importe quelle promesse dès lors qu’ils sont désespérés. Il déclare que le Conseil de l’Ordre a été sollicité à de nombreuses reprises pour lutter contre des charlatans mais souligne que la santé publique est également l’affaire des pouvoirs publics et que si le Conseil de l’ordre devait lutter contre le charlatanisme, il ne devrait faire que cela.
En se réjouissant de victoires remportées de temps en temps contre certains praticiens, par exemple ce centre de traitements dermiques par laser qui avait tenté de s’installer il y a six ans à Casablanca et dont le Conseil avait obtenu la fermeture au terme d’un combat acharné.

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