Culture

L’étrange fidélité de Agueznay à son algue

Imaginons une artiste attachée pendant toute sa vie à un motif. Un seul. Un motif si reconnaissable qu’il n’est pas possible de prononcer le nom de la peintre sans le voir. Il constitue la marque patente de son art. Sa signature. Le faire-part de son art. Malika Agueznay le découvre en 1965, alors qu’elle est encore étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca. Elle a peint, cette année-là, un grand panneau en bois où on le voit pour la première fois. Et depuis, c’est un dialogue continue qui résiste au temps. Elle quittera plus son motif. Étrange la fidélité de cette artiste à son algue.
Une algue marine qui tantôt se multiplie en une accumulation d’éléments qui se massent en une profusion baroque, tantôt prend la rigidité d’une forme géométrique aux contours nets. Cette algue se mue. Dans les derniers travaux d’Agueznay, ses formes filamenteuses et rubanées se transforment en écriture.
Dans son tête-à-tête obstiné avec ce motif, l’artiste a utilisé plusieurs supports: la toile, le bois et la gravure. «Aujourd’hui, je la découvre dans la sculpture». Et il est vrai qu’une sculpture en bronze, verticale, laisse présager la nouvelle aventure dans laquelle l’algue engage l’intéressée. À peine cette voie ouverte que Agueznay en voit une autre. Son algue imprimée sur la céramique. On reproche parfois à Agueznay son attachement exclusif à un seul motif. Le propre des grands peintres est de changer leur art, de passer d’une période à une autre. Des peintres préoccupés jusqu’à l’obsession par un seul motif, cela s’est pourtant vu dans l’Histoire de l’art. Les fleurs découpées de Matisse pendant les années quarante, mais il a peint autre chose. Le thème du peintre et son modèle a si bien obsédé Picasso qu’il constituait un genre pictural en soi. Il a traversé son art de bout en bout. Mais juste traversé, parce que l’artiste a été intéressé, comme l’on sait, par d’autres sujets. Pour trouver l’exemple d’un artiste aussi fidèle que Malika Agueznay à un seul motif, il faut peut-être se référer à l’art du peintre français Claude Viallat. Son fameux haricot est une constante dans ses tableaux. La répétition, celle qui engage dans une entreprise ardue et sans fin, ne comporte pas de coefficient péjoratif.
Agueznay s’en défend pourtant : « Je ne peins pas l’algue de la même manière. Des fois, elle domine dans mes oeuvres, d’autres fois, elle est discrète. Elle est libre de se développer. Elle prend différentes couleurs. Elle prend aussi parfois l’aspect d’autres plantes et peut même évoquer des corps humains. » Qu’elle se rassure. Dans son environnement naturel, l’algue constitue un réservoir d’oxygène. Elle symbolise une vie que rien ne peut anéantir, y compris une répétition aussi durable que celle que lui fait subir l’artiste. Le face-à-face d’Agueznay avec son algue n’est pas aussi acharné et exclusif que ne le laisse croire sa résistance au temps. L’artiste est obligée de faire des infidélités à son algue pour s’occuper de ses enfants et de sa maison. « Il est très difficile pour une femme d’être peintre au Maroc. La peinture exige le même temps que n’importe quel autre travail. Si on ne lui consacre pas du temps tous les jours, on n’avance pas, on n’évolue pas. Il existe malheureusement des obligations auxquelles je ne peux pas me soustraire : mes enfants, les invités… ». Concilier l’art et les devoirs est une quadrature du cercle à l’intérieur de laquelle seule une plante aquatique, souple, est peut-être capable de se glisser.

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