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La stratégie des antilopes

Un matin brûlant de mai 2003, une file de prisonniers franchit les portes du pénitencier de Rilima, en chantant des alléluias. Ces anciens tueurs rwandais viennent d’être libérés, à la surprise de tous, notamment des rescapés qui les regardent s’installer à nouveau sur leurs parcelles, à Nyamata et sur les collines de Kibungo ou Kanzenze. Que peuvent désormais se dire Pio et Eugénie, le chasseur et le gibier à l’époque des tueries dans la forêt de Kayumba, lorsqu’ils se croisent sur le chemin ?     Comment Berthe et le vieil Ignace peuvent-ils se parler au marché puisque toute vérité est trop risquante ? Quels sont les maléfices qui les frappent ? De quelle façon partager Dieu, la Primus, la justice, l’équipe de foot ? Et revivre avec la mort et les morts ? Que ramène-t-on de là-bas ?
« Moi aussi je me sens menacée de marcher derrière la destinée qui m’était proposée… De quoi? Je ne sais le dire. Une personne, si son esprit a acquiescé à sa fin, si elle s’est vue ne plus survivre à une étape, si elle s’est regardée vide en son for intérieur, elle ne l’oublie pas. Au fond, si son âme l’a abandonnée un petit moment, c’est très délicat pour elle de retrouver une existence».  Ce livre suit Dans le nu de la vie». Récits des marais rwandais et Une saison de machettes.

« La Stratégie des antilopes » 
Jean Hatzfeld (éditions du Seuil)

A l’abri de rien

Une nuit, alors qu’elle est en panne sur la route,  un "Kosovar" (" Tout le monde les appelait les Kosovars, mais c’étaient surtout des Irakiens, des Iraniens, des Afghans, des Pakistanais, des Soudanais, des Kurdes…") lui change le pneu de sa voiture. Marie bascule alors du côté de ces invisibles, sans papiers et sans identité, en perpétuelle errance depuis la fermeture de Sangatte (" Je n’ai jamais compris pourquoi ils l’avaient fermé ce camp. Les choses n’avaient fait qu’empirer."). Au côté de son amie Isabelle et d’associations caritatives, elle tente de donner le minimum à ceux qui n’ont rien : papiers, vêtements, soins, chaleur humaine. Mais comment combler un gouffre, arrêter la police, s’opposer aux contrôles, aux expulsions? Marie néglige sa famille, oublie ses enfants.  Marie en fait trop (ou pas assez…),  passe du côté de l’illégalité, dérive, bascule dans la folie pour réparer l’injustice du monde. Un roman bouleversant où se superposent et s’affrontent la misère ordinaire d’un quotidien sans espoir et le dénuement total d’exilés pourchassés. Entre ces deux univers, gens d’ici et malheureux d’ailleurs, peu de solidarité, la haine parfois prête à surgir. L’émotion affleure à chaque phrase de ce récit tendu, où une héroïne fragile se fracasse sur les récifs de l’existence. Un des beaux romans de la rentrée, qui confirme l’intérêt des romanciers les plus en phase avec le monde contemporain pour les rapports Nord-Sud.

"A l’abri de rien" Olivier Adam
 (édition de l’Olivier)

Arlington Park

Il pleut beaucoup sur Arlington Park. Des trombes d’eau et des larmes à grands flots. Dans cette banlieue résidentielle de Londres, des femmes se confessent. Toutes bien rangées, apparemment. Et toutes sacrément dérangées. Amères, insatisfaites, dépossédées d’elles-mêmes. Sur le thème de l’aliénation domestique et conjugale, Rachel Cusk a concocté un cocktail explosif de lucidité, d’humour féroce et de féminisme rageur. Les héroïnes s’appellent Juliet, Maisie, Amanda, Solly. Quatre femmes mariées, avec chiens et enfants, qui ont tout pour être heureuses. Mais leurs tailleurs impeccables et leurs cuisines reluisantes cachent de terribles frustrations. On les voit vivre au quotidien, bichonner leur intérieur, dorloter leurs gosses, faire les courses au centre commercial, se regarder vieillir en essayant de nouvelles robes. Et patauger lamentablement dans un océan de chagrin. Le roman de Rachel Cusk est lourd de colère, mais léger comme le vent, parce qu’un grand rire dévastateur finit par le secouer.

«Arlington Park » Rachel Cusk 
(Edition L’Olivier)

  

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