Béjart photographié par de Marcel Imsand
Maurice Béjart a accueilli Marcel Imsand dans le studio où s’élaborent ses ballets pour qu’il y prenne des clichés des répétitions. Les deux artistes partageant l’idée selon laquelle on ne peut pas photographier la danse, Imsand a préféré s’attacher à l’homme plutôt qu’à son œuvre. Il nous montre ainsi un Béjart aux multiples visages, intime et parfois secret. A quoi ressemble Béjart à travers le regard d’un photographe qui, avant d’être un ami cher, était déjà fasciné par l’artiste ? Marcel Imsand a réalisé son premier portrait du chorégraphe en 1964, lors de la venue du Ballet du XXe Siècle à Lausanne, treize ans avant que celui-ci ne s’y installe définitivement. En création, Béjart ne se départit pas d’une noble prestance émanant de son buste massif. En pointillés, le danseur se dessine à travers des mouvements de bras, des ports de tête, toujours quelque chose qui en dit long dans le regard. Dans ses yeux clairs, on devine à la fois une force tranquille et une ébullition intérieure. Son visage est déjà une signature d’artiste : les sourcils arqués et dramatiques, le nez busqué et volontaire. Ses mains, soulignées par le noir et blanc, en disent aussi long que son regard, tourné vers soi ou tendu vers l’autre. Avec les deux photographies qui ouvrent « Béjart secret », Marcel Imsand donne à voir un chorégraphe concentré et intimidant (« L’homme à la rose ») et un homme au visage ouvert et rayonnant, deux façons d’être pleinement au monde. Entouré d’êtres chers, que ce soit Barbara, Lifar, ses danseurs au moment du salut, ou ses chatons, son visage s’éclaire. Marcel Imsand a enfin capturé quelques clichés de vie quotidienne qui ne parviennent pas tout à fait à dépouiller le personnage de sa majesté : une scène de marché, un moment de lecture tapi dans les coussins de son salon. Ce qui frappe, c’est que l’artiste n’apparaît jamais en décalage ; avec sa superbe gravité, il est toujours à ce qu’il fait, qu’il revête un costume de scène, médite sur un livre ou dirige un danseur. Un hommage photographique sensible, digne de son sujet
Editeur : Favre, 2007
Mon cœur tout seul ne suffit pas
Mathieu Lindon dispose d’un incontestable talent pour appâter le lecteur. L’intrigue de départ de «Mon coeur tout seul ne suffit pas» – titre déjà séduisant de poésie – ne manque en effet ni de charme ni de mystère. Le narrateur, qui n’est autre que Mathieu Lindon lui-même, reçoit une lettre post-mortem d’un meilleur ami dont il n’a aucun souvenir. L’étrangeté d’une telle entrée en matière est agréablement nourrie par le style de l’auteur, subtil et coloré, parfois tortueux, toujours parfaitement adapté au récit. Une étrangeté pas démentie non plus par l’enquête « délirante » (au sens propre et figuré puisque la fièvre malmène Mathieu) de l’auteur au sein de la famille éternellement reconnaissante de l’ami inconnu. Atmosphère lourde, rebondissements incongrus, personnages surréalistes comme ces enfants de 7 ans qui parlent et se comportent en adultes : toutes les pièces semblent réunies pour enchanter cet inquiétant pays des merveilles. Tout du moins au fil des premières pages… Malheureusement, la jolie montagne a tôt fait d’accoucher d’une souris, certes attendrissante mais décevante. Au lieu de s’emballer, le scénario ronronne et tourne peu à peu à vide pour déboucher sur un dénouement frustrant. Reste tout de même la maestria de Lindon qui joue de ses thèmes fétiches. L’auteur condamné du «Procès de Jean-Marie Le Pen» montre ici du doigt l’absurdité d’un racisme gratuit.
Editeur : P.O.L, 2008
Rideau de verre de Claire Fercak Vingt cinq ans et déjà la griffe d’une écrivaine majuscule. Ce premier texte de Claire, Rideau de Verre, est une plongée dans l’enfance par bribes mémorielles, petits sauts dans le temps et autres éclats d’événements. En un mot, l’histoire d’une petite fille qui n’a pas assez lu la bibliothèque rose ! Elle y recompose une genèse personnelle, non pas dans l’ordre chronologique habituel mais dans un va-et-vient de temporalités bouleversées, à la manière d’un Claude Lelouch au cinéma. Grâce à un passionnant jeu de piste mis en valeur par ses j’ai 7 ans ,j’ai 12 ans ,j’ai 24 ans ,j’ai 14 ans …, elle permet au lecteur de reconstituer l’identité brisée de son personnage, en revivant les flashs de sa conscience selon la même discontinuité. Gamine fébrile, elle porte le poids d’un mal trop lourd dont on comprendra la teneur au fil du texte. Pour s’en sortir, il y a les rencontres, avec des compagnons de psychose, telles que ses trois sœurs Sylvia, Virginia et Sarah. Certes, elles ne sont pas de chair et d’os, mais des fantômes de lecture, Sylvia Plath, Sarah Kane et Virginia Woolf heureusement qu’elles sont là, car elles ôtent à la jeune fille ses pulsions suicidaires.
Edité chez Verticales/Gallimard, 2008