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Mohamed Berrada : «L’identité est un processus continu qui est impacté par des contextes»

© D.R

Entretien avec Mohamed Berrada, écrivain

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L’auteur marocain, installé en France, vient de remporter le prix Katara du roman arabe. Pour sa nouvelle œuvre intitulée «Mort différente». Il vient également de se rendre au Royaume, son pays natal, pour prendre part à une conférence consacrée à ses œuvres. Aussi, il a été l’invité d’un salon littéraire typiquement féminin initié par la fondation Arrabwa pour la culture et la pensée. Nous l’avons rencontré en marge de ces deux événements.

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ALM : Quelle est la valeur ajoutée du prix Katara pour votre parcours?

Mohamed Berrada : Déjà, le fait d’octroyer des prix est, de nos jours, intéressant pour les auteurs vu le recul du taux de lecture notamment des livres en papier. De tels prix sont susceptibles de susciter l’intérêt des lecteurs quant aux textes qui méritent d’être lus ou au moins achetés. Comme le laisse voir notre vécu, l’auteur arabe ne peut, hélas, pas vivre de sa plume. En outre, l’inexistence d’une politique culturelle ouverte entre autres fait que les ventes soient minimes et limitées. Donc lorsque le prix est littéraire sans conditions politiques ou idéologiques, l’objectif pour l’auteur est de publier ce qu’il pense et écrit puisqu’il ne s’agit pas de prix à la demande.

Qu’en est-il des caractéristiques du prix Katara ?

Pour ma part, j’ai déjà été membre du jury de plusieurs prix à l’instar du Booker et du Cheikh Zayed. S’agissant du Katara, il n’y avait pas de conditions. C’est le comité qui prévoit des mesures littéraires et esthétiques sur la base desquelles le choix est fait. Après quoi, il y a des discussions. De plus, c’est l’Isesco qui choisit le jury du prix Katara. Le tout en supprimant les noms des candidats, ce qui n’est pas le cas dans les autres prix. Puis, il y a une première et deuxième lectures. Ensuite, un petit comité tranche en fonction des points et des appréciations. Ce qui distingue le prix Katara c’est qu’il s’ouvre sur des jeunes contrairement à nous les seniors qui ne se chiffraient qu’à trois ou quatre. De plus, ce prix du Katara a des valeurs littéraires et artistiques. En général, la plupart des prix focalisent sur le roman devenu une échappatoire. A leur tour, les romans arabes abondent dans le sens des libertés individuelles. Dans l’ensemble, ces prix ont fait leur apparition à un moment où la littérature et la lecture sont face à une crise. De par ces prix, nous avons eu affaire à des romans intéressants. Ces récompenses incitent également à l’écriture pour faire un nombre croissant de lecteurs sachant que pour écrire il faut avoir des moyens matériels.

Vous abordez l’identité dans votre œuvre «Mort différente». Est-ce que vous êtes en quête de celle-ci ?

Il existe plusieurs intellectuels qui pensent que l’identité est constante puisque nous appartenons à une histoire. C’est comme si cette identité était à notre attente. Alors que ce n’est pas le cas puisque l’identité est ouverte. Elle est un processus continu qui est impacté par des contextes. D’ailleurs, dans notre société, dans l’ère post et pré indépendance, il existait des valeurs différentes. Donc l’identité n’est pas  donnée.

Et qu’insinuez-vous par identité ouverte ?

Dans mon nouveau roman «Mort différente», le héros «Mounir» a quitté son pays et était quasiment épris par la France des lumières. Ce n’est qu’après avoir vécu 50 ans et être parti en retraite qu’il a compris que les choses sont plus compliquées. Il est donc question de revoir l’identité. Peut-on réaliser une identité universelle englobant tous les humains? C’est utopique mais la question revient toujours.           

   

Pourquoi évoquez-vous constamment le mouvement estudiantin dans vos œuvres ?

D’abord, c’est la force des jeunes qui peut changer en partie la société. Puis parce que les années 1968, que j’évoque également dans mon dernier roman, sont remarquables pour moi et ma génération. Les jeunes étudiants de l’époque ont pu remettre en question tout l’héritage de la France qui vient de la révolution des siècles des lumières, etc. De plus, les faits de 1968 n’étaient pas simplement politiques mais plutôt un événement général. Cela englobait les rapports sexuels et sentimentaux, ainsi que les rapports avec les partis et la société en général. Dans les mêmes années, les mêmes débats étaient suscités partout en Europe. Donc cette année reste une date essentielle. Dès lors, on a assisté à des «tentatives révolutionnaires» même en Amérique latine et aux USA. De plus, l’appartenance à une idéologie ne suffit pas. Parallèlement, l’appartenance à une idéologie révolutionnaire reste ambiguë. C’est dans l’ensemble une référence qui marque la mise en question de ce rapport entre l’individu et les institutions. En outre, cette date est devenue essentielle quand on essaie d’écrire l’histoire contemporaine. Le Printemps arabe est à son tour marqué par les mêmes sujets. La société ne protège pas suffisamment les jeunes. Et les mutations n’étaient pas profondes, donc les anciens régimes ont rapidement récupéré l’autorité. Cependant en Europe on a pu réaliser plusieurs choses. Lorsqu’on se rend en Europe en début des années 50 et on y revient en 80 et 90, on se rend compte de l’existence de grands changements en termes de l’ensemble des rapports sociaux.

En plus d’une rencontre organisée à Rabat autour d’une publication qui aborde vos œuvres, vous venez d’être également l’invité d’un salon littéraire purement féminin. Qu’est-ce qui vous a incité à en accepter l’invitation ?

D’abord, j’ai toujours été féministe. Mieux encore, je me sens heureux quand je découvre qu’il y a un jeune ou une jeune écrivaine au Maroc ou même dans le monde arabe, parce qu’il n’est plus évident que la situation culturelle au Maroc puisse encourager les créateurs. C’est très rare ! Donc je considère que ceux ou celles qui veulent créer, écrire, prendre la responsabilité de la parole, organiser des rencontres… entreprennent un acte courageux ! C’est pourquoi j’adhère complètement à cette idée sans discuter.

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