Culture

L’obsession du mouton, profils et réalités

Plus qu’une semaine avant le jour J. À la ville comme à la campagne, l’obsession du mouton a commencé, alimentée par un faisceau complexe de passions et de motivations.
Viennent tout d’abord, dans le camp des acheteurs de moutons, celles des fidèles qui souhaitent pouvoir sacrifier le plus beau bélier qui soit en gratitude à Dieu. Suivent les pères de famille qui veulent en avoir pour leur argent, les enfants qui rêvent du mouton comme d’une sorte d’animal de compagnie et les ménagères qui n’entendent pas paraître moins bien loties que leurs voisines.
Dans le camp des vendeurs, tout le monde s’y met! De la grande surface qui propose ses moutons au rayon « Frais, boucherie, volaille », à l’instituteur qui a passé trois mois de l’année à engraisser, en pension dans une ferme des environs, une cinquantaine de bêtes pour arrondir son budget annuel. Sans compter, bien entendu, les fermiers, que l’on finirait par oublier tellement dans les garages et les bas d’immeubles de nos villes, les moutons semblent être devenus subitement des créatures urbaines.
Avec, en point de mire général, la vedette des moutons, le produit-phare de cette semaine de toutes les passions ovines : le Sardi de Bni Meskine.
Si Mohamed, commerçant, se méfie des moutons trop gros parce que les revendeurs et les éleveurs leur font manger du pain sec accompagné d’eau salée de façon à les faire enfler et paraître dodus. Lui, les grandes surfaces ne le tentent pas, il a besoin de faire comme son père, de retrouver l’ambiance des souks, d’en faire plusieurs pour bien choisir, il ne fait son choix définitif que trois jours avant la fête. Côté prix, il trouve que ça n’est pas plus cher que l’année dernière.
Hay Moulay Abdellah, rue Taza. Si Mohamed, 25 ans, raconte sa passion ovine. Son père possède une petite ferme dans les environs de Casablanca, ils font de l’élevage de moutons mais aussi du commerce : ils achètent des moutons de Bni Meskine et des chèvres des environs d’Essaouira. Son père aime cela, et lui s’est engagé sur les traces paternelles, même si ce métier ne nourrit pas son homme, car la nourriture des moutons coûte cher, il faut payer les salaires des aides, l’eau en citernes, les frais du vétérinaire, etc. Il explique qu’il y a trois sortes de moutons : le Sardi qui vient de Bni Meskine et d’El Brouj, le Bergui qui vient du Nord et le Beldi qui vient d’Agadir. Il pourrait en parler pendant des heures de ces moutons qu’il qualifie de nobles, tellement il en est passionné. Mustafa, boucher à Tamaris. Pour lui aussi, le commerce des moutons est une tradition. Il a loué un garage pour treize jours à six mille dirhams. Il vend des moutons qui coûtent jusqu’à 3200 dirhams. Son gain brut est de 150 dirhams par mouton, mais il y a encore les charges à déduire, notamment les quatre aides qu’il emploie. Ce commerce n’est pas toujours juteux mais, Mustafa affirme : «En bon croyant je ne perds jamais espoir et je me contente de ce que je gagne. Cette année, je vends également des veaux et des caprins qui commencent à être très demandés. Puisqu’ils sont recommandés pour les personnes malades», explique-t-il. 
Redouane, chauffeur de taxi, marié et père de deux enfants, a beaucoup à dire lui aussi sur la fête et surtout sur le mouton. Il entame la discussion par la fermeture des abattoirs qui a été selon lui la cause de l’apparition en ville des garages et des magasins consacrés à la vente des moutons. Il met en garde contre les revendeurs, les incontournables Chennaka, qui profitent de cette occasion pour gagner beaucoup d’argent. Ils sont postés à l’entrée des souks, le plus souvent occupés à tenter de revendre un mouton qu’ils viennent tout juste d’acheter au souk même. «Le terme chennaka leur va parfaitement», sourit-il avant d’ajouter : «Personnellement, j’ai pris l’habitude de me déplacer avec trois de mes voisins dans les souks situés aux environs de Casablanca : Had Soualem, Tnine Chtouka… Une fois sur place, nous montons tous les quatre sur la plate-forme d’un camion et nous choisissons nos bêtes. Les vendeurs nous font ainsi de bons prix».
Bienvenue au quartier Moulay Abdellah. Quelques pauvres habitations de zinc composent un bidonville, le fameux Karyane El Qadi Bendriss. Abdelali, trentenaire, nouveau marié et originaire des environs des Casablanca, vient chaque année y vendre les moutons de l’Aïd El Kébir.  Il a aménagé un petit coin devant la baraque de sa sœur qui donne sur la grande rue. Il n’a jamais connu d’autre métier que la vente de moutons. «J’élève des moutons et du bétail que je revends dans les souks de Larbaâ Marrakech, Had Soualem ou Tnine Chtouka. Je viens à Casablanca chaque année pour vendre le mouton de l’Aïd El Kébir.  Cette année, je suis venu un peu tôt, j’en ai vendu cinq seulement, entre 2500 à 2700 DH. Les gens ne sont pas encore décidés à acheter. La plupart de mes clients n’emportent pas tout de suite leur mouton, ils n’en prennent livraison que la veille ou le jour même de l’Aïd». Abdallah, résidant à Mohammédia, est commerçant en tout genre. Mais il avoue une prédilection pour la vente du mouton de la fête, qui rapporte bien selon lui. Il expose sa marchandise douze jours avant l’Aïd. Il se fournit à El Brouj et à Bni Meskine. Il n’achète que des moutons Sardis. Il a acheté avant Ramadan une soixantaine de bêtes et les a confiées à un de ses amis qui possède un grand garage et s’occupe de les engraisser dans les règles de l’art : pas d’herbe, rien que du maïs, de l’orge et du son. Il estime que les prix ont augmenté. Il a déjà vendu cinq moutons. Il gagne entre 100 et 150 dirhams par tête.
Aux côtés de ces marchands plus ou moins professionnels, un nouvel opérateur s’est imposé depuis quelques années. Signe des temps, désormais les grandes surfaces sont elles aussi de la partie. Pourquoi se priveraient-elles de vendre des moutons elles aussi, d’autant qu’il y a une clientèle pour cela ? C’est ainsi que selon un responsable d’un point de vente de l’une des grandes surfaces de Casablanca, on se prépare deux mois avant la Fête. Ce supermarché a conclu un contrat d’approvisionnement avec un fermier, après une procédure de sélection parmi plusieurs offres. Ce fermier fournit des moutons de qualité garantie en provenance de Safi. Les prix varient en fonction de la période, cela va de 39 à 42 dirhams le kilo vif. «Ici, le mouton est considéré comme une marchandise parmi d’autres. Il est géré par un service particulier, en l’occurrence le service Frais, boucherie, volaille», nous confie ce responsable sous couvert de l’anonymat.
Dans les allées de ce supermarché, nous avons rencontré Anissa, 35 ans, employée de bureau, mariée, deux enfants. Cette habituée des grandes surfaces trouve tout à fait logique d’y acheter également son mouton. Elle n’a pas le temps d’aller voir ailleurs, mais elle apprécie la propreté et la garantie de bonne santé des moutons. Mais elle attendra la veille pour l’acheter pour ne pas salir son appartement. Elle explique que, du fait de ses origines –elle est originaire de Tétouan– elle n’a pas la culture de ces moutons que l’on installe dans des garages en attendant le jour j, encore moins celle de la promiscuité festive entre les enfants et les moutons.
C’est le contraire pour Si Mohammed, quadragénaire, épicier. Il prend un immense plaisir à parcourir les souks pour choisir son mouton : «J’aime perpétuer cette tradition que j’ai héritée de mon père. Examiner les moutons selon les techniques traditionnelles est une joie que je m’offre chaque jour pendant la quinzaine qui précède l’Aïd. Je ne me décide à acheter que trois jours avant la fête voire la veille. Souvent je me fais avoir. Pas par les revendeurs, ces diables de Chennaka, mais par des campagnards. Les prix sont un peu plus élevés que l’année dernière. Mais cela ne décourage pas ceux qui ont l’habitude d’acheter le mouton un peu plus tôt de peur de rester sans mouton. Mais malgré toute cette expérience que j’ai accumulée depuis mon enfance, je ne serais jamais comme mon père qui est un grand connaisseur».

Des moutons, des veaux et des chevreaux
La fête du mouton, c’est surtout celle des plaisirs de la consommation de viande. Notamment pour tous ceux qui attendent l’occasion pour se rassasier. Du coup, la gastronomie fait valoir ses droits. La diététique également. Dans le premier cas, on choisit d’égorger un chevreau pour son goût ; dans le second, le même chevreau sera choisi pour la maigreur de sa chair. Le top en la matière est paraît-il le chevreau d’Aït Daoud, dans les environs d’Essaouira. Mais il y a aussi les familles nombreuses, qui pratiquent l’option sacrifice plus consommation : cela se traduit pour eux par l’achat d’un mouton et d’un veau. Des veaux qui se négocient jusqu’à 4500 dirhams et font l’objet d’une demande soutenue.
Les supermarchés l’ont bien compris, telle cette enseigne casablancaise qui propose des chevreaux aux amateurs.

La demande de l’Aïd satisfaite
La demande globale en animaux d’abattage pour le sacrifice de l’Aïd El Kébir 1427 est évaluée à 4,9 millions de têtes dont 4,5 millions d’ovins et 400 000 caprins. Elle sera couverte par les disponibilités en ovins estimées à 6,19 millions de têtes et en caprins, dont l’offre dépasse largement la demande.
L’état d’engraissement des animaux est globalement satisfaisant en raison des bons résultats de la campagne agricole 2005-2006, notamment en matière de disponibilités alimentaires : céréales, chaumes, parcours…Les prix des animaux destinés au sacrifice de l’Aïd, qui sont déterminés par la loi de l’offre et de la demande, varient également selon la qualité, la race, l’âge des animaux et en fonction du lieu de vente et de la durée restant précédant le jour de l’Aïd.
L’état sanitaire des animaux est satisfaisant dans l’ensemble des régions du Royaume grâce notamment aux campagnes prophylactiques menées par les services techniques du ministère de l’Agriculture. C’est ainsi que l’apparition récente de foyers de Bluetongue dans certaines provinces du Royaume n’a pas affecté l’état sanitaire du cheptel ovin et que des mesures de lutte ont été prises. Côté chiffre d’affaires, les opérateurs s’attendent à dépasser les 7 milliards de dirhams, dont une grande partie sera transférée au milieu rural, permettant ainsi aux agriculteurs d’améliorer leur trésorerie et de faire face aux charges de leurs autres activités agricoles.

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