Culture

Mahmoud Guinea, le cri des ancêtres

Mahmoud Guinea est fier de ses ancêtres. Son grand père paternel, Youssef Ben Massoud, est arraché à sa terre natale, le Mali, alors qu’il chassait pour vivre. Capturé dans la nasse de chasseurs d’hommes, il est vendu une première, une deuxième et une troisième fois à d’autres hommes. Il traverse des régions arides, d’autres fertiles, se retrouve au Sahara où un maître clément le libère. On l’entretient alors d’une ville où se sont établis plusieurs Noirs dans la même situation que lui. Il fait le voyage jusqu’à Essaouira pour chanter, dans sa langue maternelle, la liberté d’antan et le temps où l’homme-gibier était seigneur dans sa forêt.
Le grand père maternel de Mahmoud Guinea est également originaire de l’Afrique subsaharienne. C’est un Sénégalais enrôlé de force dans l’armée française. On exige de Samba d’utiliser sa matraque contre des personnes qui ne lui ont rien fait. Ce rôle ne lui plaît guère. Il déserte l’armée française et rejoint la ville où se sont donné rendez-vous plusieurs de ses frères. Mahmoud Guinea a été marqué par ces deux hommes. Enveloppé dans une djellaba noire avec des rayures blanches, il évoque des souvenirs. Le nuage de fumée, constamment développé par son calumet, interpose un écran avec son vis-à-vis. Il ajoute de l’épaisseur au mystère d’un genre musical qu’il a “hérité” de sa famille. Mahmoud Guinea est particulièrement intarissable sur son grand-père Samba. Un guérisseur qui, en vertu d’un don mystérieux, était doté du pouvoir de prédire l’avenir. « Il ne se trompait jamais », dit sentencieusement son petit-fils. Les premiers sons qui ont résonné dans la tête de ce dernier sont ceux des coquillages que brassaient les mains massives de son grand-père dans une grande calebasse en bois. Le père de l’intéressé, maâlem Abou Bakr Guinea, a tout appris de ces deux hommes.
Le pouvoir de chanter leur mal du pays, et les vertus cathartiques d’un genre qui est bien plus qu’une musique de divertissement. Une thérapeutique qui dépossède, par des crises de possession, les possédés. «Lorsque je suis en transe, je chante en africain, dans une langue où je ne comprends pas tout, mais je suis sûr que chaque mot que je prononce a un sens», précise Mahmoud Guinea. Aujourd’hui qu’il est reconnu comme le maître de la musique gnaouie, et qu’il se produit sur plusieurs scènes dans le monde, l’intéressé avoue clairement qu’il n’existe pas de commune mesure entre ce qu’il chante en public et ce qu’il réserve au cercle limité de quelques initiés dans les lilas. « Pendant les veillés, j’entre moi-même en transe. Je me laisse imprégner par le parfum des encens. L’atmosphère de la soirée me communique une force où je sens que je ne suis pas le seul maître de mon jeu ». Pareil pour la fusion avec des musiciens étrangers où il s’interdit d’interpréter des chansons qui mettent en cause les Mlouks. Interrogé sur son caractère que certains jugent difficile, en particulier lorsqu’il fait attendre longtemps des instrumentistes étrangers avant de leur permettre de le rejoindre sur scène, il répond sans hésiter que c’est sa façon de donner au public ce qu’il attend : de la musique gnaouie dans la pure tradition. Mais quel chemin avant d’imposer, au grand dam de plusieurs organisateurs, son jeu et son caractère sur scène.
Ce natif d’Essaouira en 1951 a toujours éprouvé une passion viscérale pour la musique gnaouie. Enfant, il a essayé d’imiter le hajhouj de son père en fabriquant un instrument de fortune. Une boîte de Fly Tox à laquelle il a ajouté un appendice en bois et des fils de canne à pêche. À force d’opiniâtreté et d’école buissonnière, il a appris à reproduire les sons de ses aînés. Son père qui fondait beaucoup d’espoirs sur les études de son fils a fini par comprendre que celui-ci sera gnaoui ou ne sera pas. Il lui permet de jouer avec lui jusqu’à ce que Mahmoud acquière l’assurance et le savoir-faire pour prétendre à l’autonomie. Une veillée rassemblant tous les maîtres gnaouis de la ville le consacre maâlem. Après, c’est une carrière jalonnée de rencontres fabuleuses et de voyages un peu partout dans le monde.
Mahmoud Guinea est fier d’être le premier artiste au Maroc à avoir enregistré une cassette de musique gnaouie. Il est également fier d’avoir joué avec Santana et Randy Weston. Mais ses yeux ne s’illuminent jamais autant que lorsqu’il évoque avec une voix remplie de spleen la chanson de ses ancêtres. Il en oublie son hajhouj pour clamer : «Ils nous ont arrachés à nos terres, au Mali, au Sénégal, au Soudan. Ils nous ont enlevés, les renégats, nous ont séparés de nos proches, nous ont vendus…» La voix du petit-fils perpétue le cri d’homme libre du grand-père.

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