Culture

Mauritanie : Ould Vall tiendra-t-il sa promesse?

© D.R

Tout comme ce petit chergui frais qui berce l’aéroport international de Nouakchott, noyé sous une température de 22 degrés, tôt en ce mercredi 12 avril 2006, la Mauritanie s’endort et se réveille depuis le 3 août au doux rythme des vents de la
transition politique, et aux rêves de l’or noir.
Au lendemain des vingt ans d’une dérive dictatoriale sans précédent, les millions de poètes ont encore du mal à croire au changement, à la fin de la dilapidation des deniers publics et à la corruption généralisée.
C’est de ce climat d’affairisme malsain, érigé pendant deux décades en mode de gouvernance que la transition en cours veut se débarrasser. Le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) a annoncé récemment devant les dignitaires de l’Etat et devant le patronat, une série de mesures pour lutter contre la corruption et le détournement de deniers publics.
Mais la transition en cours a-t-elle les moyens de déblayer le terrain sans rompre l’équilibre politique fragile entre les différentes forces d’hier et celles d’aujourd’hui ?
Du fin fond de son immense Palais Ocre, Ely Ould Mohammed Vall, tombeur de Ould Taya, œuvre, chrono à la main, pour rendre le pays aux civils comme promis. L’homme qui nous a reçus dans l’élégance et la simplicité de son bureau, loin du faste qui forge l’imaginaire du Nouakchottois moyens, est toujours aussi catégorique huit mois après son accession au pouvoir : La transition de deux ans qu’il s’est fixée ne sera pas prolongée. Au destin tragique du Général ivoirien Robert Guei, le président préfère manifestement celui glorieux du Malien Amadou Toumani Touré.
Habitué à toutes les surprises, l’homme de la rue a du mal à croire à ce «conte de fée », trop beau pour être vrai. Ce pessimisme est alimenté par l’affairisme et les calculs politiques de quelques vieux de la vieille qui, pour se remettre en selle, réclament la poursuite de la période de transition jusqu’en 2009. «Pourquoi pas jusqu’en 2030?», ironise une publication locale.
De quelques recoins du pays, une pétition qui n’est pas sans rappeler les fameuses marches de soutien à la gloire de Taya, après le coup d’Etat manqué du 8 juin 2003, est engagée par pour réunir un million de signatures. Ces initiatives sont d’autant plus efficaces que, depuis la chute de Ould Taya, la Mauritanie fouille dans son magma politique à la recherche de l’homme providentiel. En vain. Pourtant les formations politiques pullulent.
Avec le départ de Taya, le pays a connu une floraison sans précédents de partis politiques. On en dénombre une quarantaine, sans compter ceux en attente de récépissé, comme le PND, né de l’éclatement du tout-puissant parti Etat, le PRDS. Cette mouvance formée de jeunes cadres, issus de toutes les régions du pays, veut, selon leur leader, «rompre avec les pratiques du passé et l’achat des votes ». Mais le PND comme tous les autres partis devra batailler pour faire entendre sa voix.

Quarante partis politiques pour trois millions d’habitants !
Car, avec la multiplication des candidats potentiels à la magistrature suprême, des discours et des meetings politiques, les Mauritaniens ne savent plus où donner de la tête.
 Le désintérêt pour la chose politique est réel chez les citoyens. A peine 800 000 inscrits en avril dernier sur les listes électorales, chiffre réuni dans la douleur. Du coup, la commission désignée à cette fin, vient de proroger la période d’inscription, espérant glaner encore 400 000 personnes.
Présenté à tort et à travers par la Vox Populli, comme étant le futur président de la République, Ahmed Ould Daddah, frère du premier président mauritanien, a nettement la faveur des pronostics. Présenté tantôt comme le candidat des bailleurs de fonds, en raison de son passé au sein des institutions internationales, tantôt comme étant le candidat du CMJD. Soutenu par une partie du patronat, M. Daddah qui enregistre chaque jour de grosses adhésions, issues en général de l’ex-parti Etat, n’a réuni qu’entre 2500 (selon la police) et 8 000 personnes lors de son meeting à Nouadhibou.
Le chemin est encore long pour Daddah et pour la quarantaine de formations politiques, habituées pour la plupart aux discours de contestations et ne présentant pas de programmes politiques. Les honneurs pour Ould Mohammed Vall, l’anathème contre Ould Taya, resté malgré son éloignement au centre du débat politico–mauritanien. Telles sont les variantes des discours partisans.
A en croire, comme le fait remarquer un membre de la confédération patronale mauritanienne, qu’il n’y a pas dans ce pays, des hommes et des femmes, capables de forger un discours politique nouveau, de faire des propositions aux Mauritaniens.
Le pays a pourtant vécu des années de braise. Condamnations, exécutions arbitraires, déportations des populations.
Mais, contrairement à l’Afrique du Sud, ces désastres n’ont pas enfanté un Nelson Mandela, ni un Desmond Tutu.
Les hommes politiques qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte au lendemain de la première expérience démocratique du pays en 1991, ont tous changé suffisamment de partis, de discours et de fusils d’épaules quinze ans plus tard, pour que le Mauritanien moyen, plutôt bon observateur, en soit désabusé.
Tantôt anti-esclavagiste, tantôt allié des Nasséristes, Mesoud Ould Boukheir, doctement critiqué par la presse pour son pèlerinage récent à Tombouctou à l’invitation de Maâmmar Kadhafi, passe comme étant un fervent adepte de la politique du tournesol.
Son allié et ennemi d’hier, Ahmed Ould Daddah, compte à son actif plusieurs scissions, des brouilles et des virages, sans doute dictés par survie politique, mais dont il s’expliquera sans doute auprès des électeurs.
Et si la lumière viendrait de Ould Hanena ? Récemment élargi, ce soldat originaire de l’Est (grenier électoral du pays), instigateur et héros du putsh manqué du 8 juin 2003, le premier à défier ouvertement Taya sur son terrain, a réuni environ cinq mille personnes au stade olympique de Nouakchott.
Mais le ton guerrier emprunté, ajouté à l’absence d’un discours clair, à la présomption d’alliance avec les islamistes, a tiédi les observateurs indépendants.
Passées ces figures de prou de l’opposition, le reste des formations politiques, souvent dépendantes du vote tribal ou régional, font du marchandage politique. Créer son parti reste la voie royale pour être recruté par une formation favorite. Et souvent, à défaut d’un programme politique, les appels de pied, le pied de grue devant le Palais Ocre, dans l’espoir d’être remarqué, devient la règle. La Coalition des forces du progrès, une fourmilière de plusieurs partis politiques ne vient –elle pas d’adresser au ministère de l’Intérieur, une correspondance dénonçant certains partis non patriotiques et «financés de l’étranger » ?

Une goutte de pétrole…
L’autre sujet qui préoccupe les Mauritaniens à côté du politique est bien le pétrole. L’or noir est dans toutes les lèvres. Les exportations ont bien commencé fin mars. L’Etat a beau déclarer son intention de doubler voire de tripler les 75 000 barils en un temps record, il y a toujours des voix pessimistes. L’imbroglio judiciaire ayant opposé l’Etat à la société exploitante, l’australien Woodside ainsi qu’à l’ex ministre Zeidane Ould Hmeidane, réglé à l’amiable, avec une médiation d’un pays arabe, attise le malaise.
«Et si le pétrole était déjà vendu?», s’interroge un professeur universitaire qui requiert aussitôt l’anonymat, réflexe hérité de l’ancien régime. Les attentes cristallisées sur l’or noir sont d’autant plus fortes que de l’autre côté, la situation économique du pays est très délicate. L’Etat aurait même pris des avances sur l’argent du pétrole, selon un cadre de l’administration, appuyant la thèse des « Caisses de l’Etat vides », répandue dans certains milieux d’affaires. D’ailleurs, poursuit-il, les grandes entreprises ont été invitées par le Fisc à anticiper sur leurs versements.
Une thèse de situation économique désastreuse qui ne tient pas debout quand on considère la mansuétude avec laquelle les autorités de la transition ont procédé à la hausse des salaires et des indemnités. Ces révisions de salaires, visibles à travers la multiplication du smig par 500 ne font pas le bonheur du patronat qui a d’ailleurs peu suivi le mouvement jusque-là. L’augmentation des salaires ne s’est pas toutefois répercutée de manière réelle sur le pouvoir d’achat.
Détenteurs réels du pouvoir économique, les commerçants ont augmenté leurs prix, parfois proportionnellement avec les hausses. «Tant qu’il n’y a pas un contrôle réel des prix, on ne sortirait pas du cercle vicieux », tempête un assureur de la place.
Après l’huile, c’est au tour du sucre (210 ouguiyas le kilo, environ 7 DH) de franchir un seuil historique. L’Etat qui a engagé une bataille homérique contre les boulangers, pour maintenir le prix du pain dans une proportion acceptable, semblait avoir gagné la première manche. Une illusion. Cette denrée est devenue rare, spéculation oblige. Les produits pétroliers ne sont pas épargnés. Avant même l’annonce officielle de la dernière hausse de prix, il y a quelques semaines, certaines stations ont baissé le store, ou ont appliqué les prix de leur choix.
Ainsi va la transition en Mauritanie. D’un côté, un programme politique bien engagé. De l’autre côté, un programme économique, engouffré dans le sable de Nouakchott et qui doit faire face à un puissant lobby économique. «Les mêmes que sous l’ère Taya », claironne la rue. Peut-être une goutte de pétrole sera le lubrifiant nécessaire pour faire avancer le train des réformes.

Le Major de Meknès et le lauréat de Fès !
Son sourire discret, sa moustache touffue, son apparente bonhomie ont séduit les Mauritaniens dès les premiers jours du 3 août 2005. Dix mois plus tard, celui qui est resté plus de vingt ans Directeur de la Sûreté Nationale, est toujours une énigme. « Un modèle d’intégrité et de compétence », selon Mohamed Ould Kory du journal Inmish Al Watan.
 Très à l’aise devant les micros des télés, contrairement à son prédécesseur qui fuyait la presse. Mais Ely, applaudi de tout bord quand il augmente les salaires des fonctionnaires de 50%, incompris quand il tend la main à son prédécesseur, «invité à retourner au pays », est souvent critiqué sur la question des réfugiés mauritaniens noirs, vivant depuis 17 ans au Sénégal et en Mauritanie.
Son intention de vouloir confier ce dossier épineux au futur gouvernement démocratiquement élu provoque le pessimisme dans les milieux négro-africains. Né en 1952, Ely Ould Mohamed Vall est issu de la tribu commerçante des Oulad Bousbaa, écartelée entre le Maroc (leur origine), la Mauritanie et depuis longtemps au Sénégal pour les besoins du commerce. Mais contrairement à Ould Taya, ce n’est pas à Saint-Cyr que Ould Vall achèvera ses différents cycles de formation, mais bien à Meknès, dans la prestigieuse Académie militaire de Meknès d’où il sortira Major. Il reviendra aussi au pays avec une licence en Droit, décrochée à l’Université de Fès. De la Guerre du Sahara engagée par la Mauritanie aux côtés du Maroc, il en connaît beaucoup pour avoir été commandant des postes militaires de Bir Mogrein, de Ouadane et d’Ain Bentelli.
De ce conflit qui prit fin en 1978, Ely forge sa réputation d’homme intègre. A Nouakchott, il est commandant de la Compagnie du Quartier Général à l’etat-major national. A Rosso, il commande la septième région militaire.
L’arrivée de Ould Taya au pouvoir, en 1984, trouve Ely aux commandes de la région de Nouakchott. Le premier le nomme Directeur général de la Sûreté Nationale, poste qu’il occupera pendant 20 ans avant de prendre à son tour les armes pour renverser son mentor. Pour la bonne cause dira-t-on. Mais à condition de voir la transition déboucher sur la très attendue démocratie.

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