Culture

Mohamed Loakira : «La poésie vit un dur paradoxe»

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ALM : On vous appelle le poète de la ville ocre pourquoi cette appelation ?
Mohamed Loakira : C’est vrai. Marrakech, en permanence dans mes oeuvres, est le mythe fondateur de mon écriture. C’est mon lieu de prédilection. Elle cristallise le passé-futur, l’affectif, le politique et l’utopique. C’est l’Eden qui a existé et qui cependant continue à m’habiter, me poussant à interroger la mémoire, le réel et le non encore vécu. Ma Marrakech à moi est une entité qui s’inscrit au-delà du tracé topographique. Elle signifie un autre lieu plus large, globalisant, et en perpétuelle construction. C’est là que j’apprends à distiller le poème telle une liqueur amèrement douce, désaltérante, mais donnant toujours soif.

Actuellement, est-ce que vous préparez un recueil de poèmes et quel en sera le titre ?
J’ai deux textes en chantier. Un long poème qui probablement s’intitulera: «Humeurs» et surtout la troisième partie de la trilogie, dont les deux volumes sont parus, à savoir «L’esplanade des Saints» et «A corps perdu». Elle a comme titre provisoire «Des Nuits, au jour le jour». C’est la suite du conte suspendu la veille, oscillant entre le réel, le rêvé et l’invraisemblable. C’est quasiment une fin de parcours. Après l’enfance, l’adolescence, le personnage de Mamoun vit le foisonnement et les brûlures des années 70 et 80. Les événements relatent la joie et la peine d’un être de la marge. Comme ils tracent les dédales de  la peur, des frustrations nécessaires et de la répression inhérente au pouvoir politique. Une histoire à la fois vraie et imaginaire où un drame personnel se greffe sur le drame collectif.

Quel est le message que vous voulez passer à travers vos oeuvres ?
Vous savez, «Le sujet de l’expérience» est d’abord l’oeuvre, et non soi.Le “Je” du temps opératoire est tout autre. Il est travaillé par le vécu, le rêvé et le refoulé. Le “Moi” créateur ne s’inclut guère dans le causal et le justificatif puisqu’il demeure pluriel, problématique et nomade. De ce fait, je ne suis ni guide, ni prophète, ni porte-parole de quiconque. Je n’ai que ma rage de dire ma spécificité, mes doutes et l’indicible qui me résiste. N’oublions pas que le poète est d’abord et avant tout un être. Mais un être inaccompli qui cherche, va à la rencontre de la vie, du rêve, puis s’isole et engage le corps-à-corps avec sa langue. Quand il donne sa production à lire, il espère une compréhension aux sens multiples.

Comment évaluez-vous la poésie au Maroc ?
Ici comme partout ailleurs, la poésie vit un dur paradoxe. Sa situation, aussi bien éditoriale qu’électorale, est complexe. Car elle est à la fois sublimée et peu lue, encensée quand l’expression nous trahit, mais bannie dans la pratique. Elle constitue un genre littéraire marginalisé, peu exposé, peu vendu et encore moins étudié et écouté. Ce paradoxe s’accentue davantage lorsqu’on avance qu’elle est destinée, en premier lieu, à un public connaisseur, pour ne pas dire élitiste, qu’elle a une audience faible, d’autant qu’elle demeure hermétique, ennuyeuse et d’une «froideur hautaine». Nous avons tendance à mettre sous ce vocable tout ce qui résiste à notre étonnement, alors que la poésie se construit à partir du rapport à soi et au monde. Elle interpelle donc le tréfond de l’être et demeure le lieu le plus radical de la liberté dans la littérature. 

Quels sont les obstacles qui entravent la poésie au Maroc ?
Le malentendu commence déjà à l’école où la récitation se substitue à la poésie et dénature l’accueil conçu pour être instructif, inédit, ouvert sur la découverte de soi et riche «d’informations reçues de nos sens». L’approche didactique en vigueur objective, ses actions sur la réception récréative, la légèreté et sur l’apprentissage machinal de la déclamation et de la mémorisation, sanctionné par une note. Comme elle ne se penche que peu sur l’utilité d’inviter des poètes, d’organiser des concours d’écriture et d’encourager les poètes en herbe.
Même à l’Université, la poésie est quasi-absente. Les bibliothèques publiques manquent de stratégie en la matière et de fonds conséquents pour mettre à la disposition des lecteurs une bonne partie des titres publiés au Maroc.
Quant aux professionnels du livre, la plupart d’entre eux s’intéressent exclusivement aux publications scolaires et parascolaires, et cultivent le péché de se faire connaître à chaque rentrée scolaire. Le problème trouve ses origines dans le système éducatif, dans l’environnement familial, sociétal et éditorial.

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