Culture

Mourad Salam : «Il n’est pas facile d’imposer ses convictions artistiques»

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ALM : A l’instar de plusieurs artistes de votre génération vous avez entamé votre carrière de chanteur dans les Maisons de jeunes. Est-ce par choix ou tout simplement c’était le seul espace à disposition.
Mourad Salam : Il n’est pas facile de parler de choix lorsqu’on habite dans un petit village isolé sur le bout d’une montagne à Ait Sidale. Mon parcours a débuté avec mes amis de classe. Chacun de nous essayait d’imiter son chanteur préféré. Par la suite j’ai adhéré à la Maison des jeunes de Zeghanghane. C’est là que j’ai commencé à sentir que je pouvais percer dans le monde de la chanson. C’était les débuts avec les «Enfants de Zeghanghane». Avec ce groupe j’ai bercé dans la chanson engagée à l’instar de tous les lycéens de mon époque. Oualid Mimoun, Khalid Izri et Nass El Ghiwane étaient nos idoles et «guides» à distance. C’était aussi le temps du «boom» du cellulaire. Et c’est grâce à une parodie musicale sur la concurrence entre les deux premiers opérateurs téléphoniques que j’ai enregistré mon premier succès. Durant toute une année je ne faisais que répéter cette chanson à la demande de toutes les personnes que je rencontrais. C’était la chanson déclic que j’interprétais sans pouvoir dire que j’étais le compositeur et le parolier.

Il semble que le refus paternel d’avoir un «Amediaze» (chanteur en rifain) à la maison ne vous a pas encouragé. Le chanteur n’avait pas de place dans votre entourage familier.
Tout le rêve allait s’écrouler avec le premier succès du moment que personne à la maison n’acceptait que je devienne un professionnel de la chanson. On avait le droit de chanter pour soi-même mais surtout pas en public. Mes déboires ont commencé lorsqu’un éditeur m’a contacté pour enregistrer une première cassette. Tout auréolé de mon succès de lycéen à principes, j’ai fait le déplacement à Casablanca pour les enregistrements et le mixage. J’avais alors préparé des chansons qui avaient comme thématique de base les préoccupations des jeunes Marocains. Mais à ma surprise générale, l’éditeur ne voyait pas les choses du même angle. Il m’a expliqué que les thèmes choisis ne peuvent générer de gains financiers et que je devais tout refaire et proposer des chansons qu’imposait le commerce de la chanson. Pour vendre il faut puiser dans le Chaâbi m’a-t-on fait comprendre. Je n’avais pas de choix. J’ai composé à la hâte une cassette tout en demandant à l’éditeur de ne mettre ni mon nom ni ma photo sur l’album. J’avais peur de la réaction paternelle. Mais par ironie du sort ce que j’avais proposé dans la «clandestinité» a eu un succès éclatant.

Le succès retentissant d’un premier album anonyme en porte-à-faux avec la réaction d’un père qui ne tolère un avilissement de l’honneur de la tribu. Comment vous avez réagi ?
Ce n’était pas facile car j’étais pris entre l’enclume et le marteau, d’un côté j’aimais ce que je faisais et de l’autre je ne pouvais partager ma joie avec les personnes que j’aime le plus au monde à savoir ma famille. Le comble, c’est que mon père est entré, un soir, à la maison avec mon album et n’a pas tari d’éloge sur la qualité des chansons. C’était l’occasion pour moi de divulguer le secret. Malheureusement, une fois qu’il a su que c’était son fils, il m’a chassé du foyer familier. Il a fallu l’intervention des oncles, tantes, voisins et professeurs pour qu’il accepte la nouvelle donne. C’était dur à avaler pour lui, mais cela m’a fait gagner en popularité.
Si vous avez convaincu le père vous avez échoué devant les éditeurs qui vous ont imposé un type de chansons
Lorsqu’on veut percer dans un domaine, il faut faire des concessions. Cependant, il faut reconnaître que le choix des producteurs trouve son écho chez le public. Qu’on le veuille ou non, ce sont les chansons rythmées et populaires qui ont le vent en poupe. Le marché a imposé ses lois. C’est aux conservatoires de musique, centres de cultures, ministère de la Culture, mélomanes du goût raffiné et artistes engagés dans l’art de sauvegarder la chanson dite de salon.
L’orchestration demande beaucoup de moyens et n’attire pas les foules notamment en période de vacances et festivals d’été. Or un chanteur doit travailler pour subvenir à ses besoins et ne pas se contenter de ses états d’âme et ses convictions. C’est un effort qui doit se faire en parallèle selon les convictions de chacun de nous. Et c’est ce que j’ai essayé de faire dans mes derniers CD.

Alors que vos chansons, puisent leur saveur du patrimoine local, vous êtes de ces chanteurs qui exécutent leurs airs avec une guitare qui n’a rien à voir avec le local. Pourquoi un tel choix ?
Pour plusieurs raisons tout d’abord elle s’adresse à un esprit jeune. Elle facilite la communication avec un public de divers horizons et nationalités ainsi les pincements, les arpèges, les butés et variantes, les pickings, les battements, les techniques flamenco, les allers-retours ou les harmoniques sont autant de facilitateurs de communication et permettent au chanteur rifain de toucher les différentes sensibilités.
Le jeu aux doigts est sans contestation source d’émotions et de feeling qui s’écoule librement, sans aucune contrainte ni limite. En somme un jeu rebelle et enchanteur qui va à merveille avec les différentes sonorités locales. Il m’arrive aussi de le mixer avec des instruments classiques tel que «Tamja : flûte en rosier» «Zamer : instrument à vent avec deux cornets» ; «El Ghayta : instrument à son aigu» qui sont accompagnés d’ «Atchounes : instrument à percussions».

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